Var Matin du 19 Mai 2013 - 2013
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Une médecine hégémonique pour le cancer
Nicole Delépine, Marielle Valmalette
Une médecine hégémonique pour le cancer
Interview de Nicole Delépine réalisée par Marielle Valmalette pour Var Matin : Pour le Dr Nicole Delepine aujourd'hui à Signes : "Une médecine hégémonique pour le cancer".
Le quatrième ouvrage du Dr Nicole Delepine, médecin spécialisé en oncologie pédiatrique, jette un pavé dans la marre. Dans Le cancer, un fléau qui rapporte, sorti en février dernier, la responsable de l'Unité fonctionnelle de cancérologie de l'adolescent et de l'adulte jeune de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (92), démonte la mécanique du système de traitement du cancer et les milliards qui profitent à l'industrie pharmaceutique.
Invitée de la foire bio de Signes, ce dimanche, elle tiendra un stand aux côtés de Carine Curtet, présidente de l'
Association Amétist, qui soutient les malades du cancer et leur famille.
Marielle Valmalette : Vous dénoncer dans votre livre la façon dont on traite le cancer en France. Que remettez-vous en cause ?
Nicole Delépine : J'ai écrit ce livre pour démontrer le mécanisme bureaucratique dans lequel nous sommes enfermés. Les plans cancers qui ont été mis en place successivement ont été fabriqués pour instaurer un système soviétisé. On ne fait plus une médecine individualisée, mais une médecine hégémonique.
Sur le fonctionnement, l'Institut national du cancer (INCA) a mis en place, aux travers de circulaires de 2004 et 2005, ainsi que d'une loi en 2007, un GIP (groupement d'intérêt public) qui a délégation du ministère de la Santé en matière de cancérologie. Le ministère a ainsi délégué ses pouvoirs législatifs à des agences sanitaires, dirigées par des personnes nommées arbitrairement, et qui ont le pouvoir d'imposer un monopole.
L'INCA a fondé un protocole, un dispositif rigide, dans lequel il dicte quel traitement proposer à un patient selon le type de cancer.
Marielle Valmalette : Vous voulez dire que le médecin n'a pas la liberté de prescrire le traitement qu'il juge le plus approprié pour son patient ?
Nicole Delépine : Exactement. La loi de 2007 impose notamment aux médecins de présenter le dossier de leur patient au sein de réunions pluridisciplinaires, où l'on décide du sort du patient sans même qu'il ne soit présent. Il est très difficile, voire impossible pour un médecin, de proposer un traitement qui ne suive pas dans le protocole de l'INCA. Si l'on s'oppose aux recommandations de l'Institut, il faut s'expliquer devant les collègues, devant le patient. Cela devient suspect aux yeux de tous.
Le plus pervers, c'est que pour traiter un malade, il faut avoir un réseau de praticiens. Avant, on choisissait son réseau en fonction de la pathologie du patient. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Le réseau du médecin doit être déclaré et agréé par les ARS (Agence régionale de santé) qui n'accréditent que si vous remplissez les critères définis par l'INCA. Du coup, même si l'on s'oppose à un traitement préconisé par l'Institut, il devient impossible de faire traiter le patient comme vous l'entendez. C'est dramatique.
Marielle Valmalette : Vous critiquez aussi la façon dont les essais thérapeutiques sont menés. Pourquoi ?
Nicole Delépine : Lors des réunions pluridisciplinaires, les médecins sont fortement invités à intégrer le maximum de patients dans les essais thérapeutiques. Mais sous couvert de faire avancer la recherche, on impose des traitements qui rapportent surtout gros à l'industrie pharmaceutique. Depuis 2003, l'État a mis en place une liste dite "en sus des groupes homogènes". C'est une liste de médicaments nouveaux, basés sur des molécules innovantes, qui sont prescrits aux patients dans le cadre des essais thérapeutiques et qui sont remboursés par la sécurité sociale. En clair, c'est une façon de financer avec de l'argent public des essais pharmaceutiques qui devraient être payés par des fonds privés. C'est tout à fait scandaleux, d'autant que l'on fait croire aux patients que c'est une chance pour eux d'avoir ce type de médicaments, alors qu'ils sont loin d'être agréés pour être mis sur le marché.
Marielle Valmalette : Vous vous attaquez aux institutions. Quel écho a reçu ce livre auprès des autorités sanitaires ?
Nicole Delépine : Il n'y a pas eu de réactions. De toute façon, tout ce que j'ai écrit est basé sur les rapports de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales). Tout y est
dit.
Propos recueillis par Marielle Valmalette