Annales de médecine interne - 2001
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Le sarcome d'Ewing
Nicole Delepine
Le sarcome d'Ewing
Editorial - Annales de médecine interne.
Individualisé en 1921 par James Ewing, le sarcome qui porte son nom est une maladie rare. Sa prévalence estimée se situe, selon les populations concernées, entre 0,5 et 1,5 par millions d'habitants et par an soit environ 50 nouveaux cas chaque année en France.
Avant l'époque des chimiothérapies efficaces, il s'agissait d'une maladie pratiquement toujours mortelle. Dans le relevé des tumeurs osseuses de Bristol, la survie à 5 ans ne dépassait pas 5 % et était proche de 0 à 10 ans. C'est dire que la constatation d'une efficacité certaine de la radiothérapie sur la tumeur visible a représenté un immense soulagement chez les médecins chargés du traitement ; il n'était plus nécessaire de mutiler les malades, la radiothérapie pouvant assurer un confort de survie supérieur à celui que la chirurgie des années 70 pouvait apporter. On ne guérissait pas davantage de malades mais au moins on ne les mutilait plus.
Les premiers espoirs de guérison ont coïncidé avec l'apparition des premiers produits de chimiothérapie ; l'Endoxan et rapidement l'Adriamycine et la Vincristine ont fait la preuve de leur efficacité. L'utilisation de la triple association VAC (Vincristine - Actinomycine - Cyclophosphamide) a permis d'augmenter les taux de rémission obtenus aux alentours de 40 %. Assez rapidement, l'Actinomycine D s'est imposée comme complément de cette association qui est devenue le VACA qui a représenté le socle des associations thérapeutiques depuis les années 80. Le traitement local efficace et cette quadruple association permet, en effet, d'obtenir environ 50 % de rémission complète à 5 ans.
L'apparition de nouvelles drogues efficaces, tels l'Ifosfamide et l'Etoposide, a suscité bien des espoirs en dépit de résultats divergents venant pourtant d'essais randomisés coopératifs dont la méthodologie paraissait offrir toutes les garanties.
L'essai coopératif américain a montré que l'association de 2 nouvelles drogues aux 4 drogues classiques augmentait significativement le pourcentage de malades en rémission et la durée de survie. Les résultats de cet essai américain ont été confirmés par l'Essai du groupe coopératif Austro-Allemand (COSS).
A l'opposé, l'essai de l'Institut Rizzoli et l'essai multicentrique de la Société Française d'Oncologie Pédiatrique n'ont pas permis de mettre en évidence un intérêt quelconque de l'utilisation de l'Ifosfamide pour la survie des malades atteints de sarcome d'Ewing localisé. Il est vrai que dans l'essai de la Société Française d'Oncologie Pédiatrique, l'Ifosfamide n'était pas ajouté aux drogues précédentes mais remplaçait le Cyclophosphamide alors que l'absence de résistance croisée entre ces 2 drogues leur autorise une synergie.
Actuellement, les protocoles de chimiothérapie les plus efficaces sont ceux qui utilisent 5 ou 6 drogues, qu'il s'agisse de l'essai américain de l'intergroup pour l'Ewing SS3, du protocole italien SE91 rapporté par Rosito, des protocoles T9 et T11 de Rosen ou de l'étude pilote du National Cancer Institute rapporté par Dexter.
Le principal problème actuel concernant le sarcome d'Ewing est donc moins celui des drogues à utiliser que celui du traitement local à la fois dans ses modalités et dans sa date. Traditionnellement, le traitement de la maladie visible reposait sur la radiothérapie qui paraissait plus facile à réaliser et moins agressive pour les malades. Depuis l'essor de chimiothérapies efficaces, les complications fonctionnelles et les insuffisances dans le contrôle local de la radiothérapie sont devenues évidentes. Près de 30 % des malades traités par radiothérapie pure récidivent localement, ou voient la tumeur poursuivre son évolution malgré la radiothérapie. Ces récidives locales sont de pronostic effroyable. Lorsqu'elle ne se compliquent pas de métastases d'emblée, elles deviennent métastatiques dans la quasi-totalité des cas dans l'année qui suit le diagnostic de récidive et, au total, moins de 5 % des malades qui ont présenté une récidive locale survivent plus de 5 ans.
La fréquence et la gravité des récidives locales expliquent la perte des chances de survie des malades traités par radiothérapie pure. Ces différences avaient été remarquées pour la première fois par Pritchard et Dahlin sur la série des Ewing de la Mayo Clinic traité sans chimiothérapie. Le même avantage de la chirurgie sur la radiothérapie a été confirmé sur une seconde série de malades de la Mayo Clinic traités, cette fois, par chimiothérapie systématique.
Depuis, dans toutes les séries qui l'ont étudié, le gain de survie des malades traités par chirurgie atteint 20 à 30 %.
L'importance de la date du traitement local chirurgical n'a été que rarement étudié. Pourtant, les mauvais répondeurs risquent de pâtir d'un traitement tardif. Dans tous les essais où le traitement local est tardif (au delà du 3ème mois), il existe une différence significative nette entre les bons et les mauvais répondeurs. Cela montre l'incapacité d'une chimiothérapie dite de rattrapage sur les malades trop longtemps traités par une chimiothérapie insuffisamment efficace. Au contraire, dans notre étude pilote DD21, les malades mauvais répondeurs bénéficient d'un pronostic non significativement différent de celui des bons répondeurs. La valeur pronostic de la date du traitement chirurgical a d'ailleurs été confirmé par les auteurs allemands dans l'essai COSS86.
Tous les essais multicentriques ne parviennent pas à améliorer le pronostic des sarcomes d'Ewing. La Société Française d'Oncologie Pédiatrique a successivement réalisé 4 essais sur la maladie en 20 ans. Le premier essai comportait une chimiothérapie quadridrogue avec le résultat habituel de l'association VACA / 51 % (...). Le 2ème essai reprenait un schéma proche de celui décrit par Hayes (...) mais n'a pas permis d'augmenter significativement le taux de mise en rémission totale puisqu'il a obtenu 52 % de rémission à 5 ans. Le 3ème essai a échangé la Cyclophosphamide pour l'Ifosfamide ; aucun bénéfice significatif n'a été mis en évidence par cette association quadridrogue alors que la toxicité était accrue et, en particulier, responsable de 3 insuffisances cardiaques sur 100 malades ainsi traités (...). Le dernier essai de la SFOP n'a pas non plus permis d'observer une quelconque amélioration des résultats : d'après des rapporteurs, la principale déception a été l'absence d'amélioration des résultats par rapport aux essais précédents. Cet essai n'obtient, en effet, pas plus de 54 % de rémission à 5 ans (...).
C'est dans son contexte qu'il faut apprécier l'article de nos collègues Bulgares. Malgré des conditions économiques effroyables et des conditions de la médecine plus que précaires, cette équipe de médecins contraints de travailler « à l'ancienne », enregistre des progrès très importants en opérant davantage de malades et en utilisant 6 drogues de chimiothérapie. Avec plus de 60 % de rémission complète à 5 ans, ils dépassent, en effet, les résultats de l'équipe les mieux équipées et au budget de fonctionnement sans commune mesure. Ces résultats font, une fois de plus, l'analyse soigneuse d'une série homogène de malades par une petite équipe stable au recrutement suffisant qui permet de faire bénéficier aux malades plus rapidement des progrès thérapeutiques que l'usage aveugle de grands essais randomisés rassemblant des données trop disparates de trop nombreux centres en dépit du coût considérable de tels essais multicentriques.
Que nos confrères bulgares aient voulu l'exprimer en français est un motif supplémentaire de satisfaction.
Le sarcome d'Ewing est une maladie rare. Sa prévalence est estimée à moins de 1 par million d'habitants et par an. Les séries monocentriques dépassent rarement les 50 observations. Si quelques progrès ont été enregistrés dans la compréhension de la maladie et dans son diagnostic grâce aux anomalies cytogénétiques mises en évidence par une équipe de chercheurs français, les résultats thérapeutiques n'ont guère progressé. Par exemple, les différents protocoles utilisés depuis 15 ans par la Société Française d'Oncologie Pédiatrique ne guérissent qu'un peu plus de la moitié des malades (50, 51, 52, 54 %). Ainsi que le souligne J. Carrie dans un article récent « la principale déception a été l'absence d'amélioration des résultats des malades malgré les différents protocoles utilisés.
Aussi est-il réjouissant de voir les progrès réalisés par une petite équipe d'un pays dont la situation économique ne permet pas d'investir de gros moyens pour la santé publique. Si l'article des auteurs bulgares ne porte pas sur un travail randomisé, la vérification de l'absence de différences statistiques dans le recrutement et le bilan initial des malades traités, ainsi que la très grande homogénéité de l'équipe dans le temps et de leurs méthodes d'investigation, rendent leurs conclusions pertinentes, d'autant plus qu'elles rejoignent celles de la quasi totalité des études sur le sujet.
L'intérêt du contrôle chirurgical du primitif dans les sarcomes d'Ewing a été pour la première fois mis en évidence par Pritchard et Dahlin sur une étude de la Mayo Clinic d'avant l'ère des chimiothérapies efficaces ; elle a été confirmée par les mêmes auteurs après que les chimiothérapies utilisant quatre drogues aient été introduites. Elle a été depuis retrouvée par toutes les équipes qui se sont intéressées au problème. Une macro-analyse de l'influence du traitement local sur le sarcome d'Ewing confirme d'ailleurs de manière formelle l'importance d'un traitement chirurgien carcinologiquement correct.
Concernant la chimiothérapie, un certain nombre de protocoles, qu'il s'agisse du protocole anglais, italien, américain ou du protocole français EWDD21, utilisent 6 drogues et obtiennent des taux de rémission complète à 5 ans de plus de 75 % chez les enfants vus sans métastase initiale. Le résultat des auteurs bulgares confirme également que l'introduction de davantage de drogues bénéficie au malade.
Finalement, il est rassurant, pour le début du 3ème millénaire, de constater que des progrès dans la maladie sont enregistrés dans un pays pauvre où l'on pratique la médecine à « l'ancienne » en regardant le malade et sa maladie évoluer lors du traitement et en adaptant la thérapeutique à cette évolution. Cela confirme la suprématie de l'homme sur l'ordinateur, du moins pour le traitement des maladies rares où le traitement chirurgical est important. Il peut paraître également satisfaisant que des médecins d'un pays qui n'a pas le français en partage choisissent notre langue pour s'exprimer lorsqu'ils désirent présenter leurs résultats à la communauté internationale. Puissent ces éléments être de bonne augure pour l'année 2001.