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Publication sur Atlantico - 2012
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La qualité des hôpitaux français est-elle en train de s'effondrer ?
Nicole Delépine

nicole delépine


La qualité des hôpitaux français est-elle en train de s'effondrer ?


Depuis que l'hôpital est géré comme une entreprise, la rentabilité est désormais le plus important. Les malades mais aussi le personnel soignant sont passés aux oubliettes et la qualité des hôpitaux français pourrait bien s'en faire ressentir.



nicole delepineLa qualité des hôpitaux français est-elle en train de s'effondrer ? Évidence pour tous, l'hôpital s'écroule depuis qu'on a voulu le gérer comme une entreprise, que la rentabilité est devenue l'objectif premier, le patient un client, les soins des moyens de vendre médicaments et dispositifs innovants à des prix prohibitifs, que l'idée de guérir des malades n'est plus la priorité.

"Au fait, c'est quoi un patient ?" Les jeunes directeurs alignent des chiffres et vous font des remontrances parce qu'on a "trop transfusé !" plus que l'enveloppe prévue. L'hôpital est devenu une machine à sous. Nos hôpitaux sont remplis de personnels de qualité voire exceptionnels parfois, mais les liens sont cassés. Des ilots de vraie médecine ont pu se préserver, où tout le monde peine pour travailler à l'ancienne et résister aux pressions administratives. Mais au prix de quelle usure pour les soignants et combien de temps tiendront-ils ?

Dans les années 90 le système de santé français était classé au premier rang mondial par l'OMS. Il faisait des envieux désireux de l'exporter aux USA et en Amérique du sud. Dans la logique libérale, il était urgent de le casser pour qu'il ne serve plus d'exemple. La réforme de 1991 commença son travail de sape. La loi instaura une double hiérarchie hospitalière afin que les paramédicaux ne dépendent plus de l'autorité médicale. Diviser pour régner, classique toujours efficace. Manipulation politique imparable.

Faire échapper les soignants, infirmiers, aide soignants et toutes corporations sauf les médecins au pouvoir du Mandarin ne choqua personne. La voix des opposants fut étouffée. La pensée unique régnait déjà. On promit aux infirmières monts et merveilles en reconnaissance, salaire, pouvoir quasi médical. C'était l'époque du "diagnostic infirmier" qui allait les transformer en officiers de santé (bientôt frustrés de ne pas avoir les mêmes droits sur les patients). Combien de belles vocations gâchées par cette manipulation des consciences.

Les élèves infirmières devinrent étudiantes au prix d'un allongement de la durée des études de plus en plus théoriques et éloignées du contact avec les patients qui leur donnait leurs lettres de noblesse. On les hyperspécialisa. C'est ainsi qu'on créa une surspécialité les IBODE, infirmiers de bloc opératoire au prix de 18 mois d'école supplémentaire, leur demandant d'acquérir des connaissances en techniques de stérilisation, procédures juridiques et quelques notions chirurgicales. Ils tomberont de haut au contact des réalités du bloc. Les plaintes actuelles de cette corporation en témoignent. Certes elles connaissent tout des procédures "de qualité", formatés aux référentiels multiples à appliquer pour obtenir les accréditations et satisfaire aux audits. Mais ils sont bien mal préparés aux aides opératoires. Dans leur cursus on différencie 14 spécialités chirurgicales censées être acquises en 14 semaines ! Or un minimum de 3 mois est nécessaire à un étudiant en médecine (qui a déjà 5 ans d'études dont beaucoup d'anatomie) pour être "utile" comme aide opératoire pour une spécialité chirurgicale précise. Les chirurgiens préfèrent se faire aider par des étudiants ou médecins (éventuellement étrangers), qu'ils forment à leur exercice particulier.[1] Drame induit par le "syndrome de l'école" qui forment des professionnels inadaptés au terrain (idem pour les cadres infirmiers ou les jeunes directeurs d'hôpitaux) sans expérience antérieure longue des exigences hospitalières.

Les infirmiers formatés, les médecins étrangers exploités et contraints au silence, les jeunes directeurs frais émoulus, allaient servir de pions aux lobbys financiers qui mijotaient l'OPA sur le marché de la santé le plus rentable au monde avant le pétrole et les armes. Première étape pour ôter tous pouvoirs aux médecins à l'hôpital, l'achèvement sera la loi hôpital patients santé territoire dite HPST (2009). Les médecins, y compris les grands patrons y sont évincés du pouvoir de décision. Les paramédicaux également par perte de pouvoir significatif de leurs représentants. Le tour était joué. Un hôpital sans pouvoir médical ni infirmier, était ce bien raisonnable ? Un hôpital mort.

Subrepticement au sein des services une nouvelle mentalité s'immisça, arsenic distillé chaque jour à doses subliminales. Induite par les écoles d'infirmières ou de cadres de santé, l'école de Rennes formant les directeurs d'hôpitaux sans oublier les médecins robotisés par les enseignements modernes dominés par l'apprentissage des recommandations nationales et les essais thérapeutiques. Les paramédicaux et jeunes internes manipulés commencèrent à contrôler les médecins seniors, leurs prescriptions, leur façon de faire, leurs décisions, leur éthique même. Non pas qu'il n'y ait rien eu à redire, mais cette intrusion du flicage au sein des unités cassa les équipes d'autant plus qu'on appliqua le même principe entre les catégories professionnelles qui s'espionnaient les unes les autres. On détricotait les groupes.
Au nom de cette pseudo qualité des soins, on spécialisa outrageusement chaque corporation.
Là où dix ans plutôt tout le monde s'entraidait, les gens commencèrent à s'épier et à regarder l'autre dans son bourbier. On avait inventé l'hyperspécialisation des taches associée au syndrome de précaution et à la grande peur de prendre une responsabilité qui ne serait pas la sienne et de "perdre son diplôme".[2]

On supprima le titre de "Médecin des Hôpitaux", titre si chèrement acquis autrefois après un concours difficile souvent réservé aux membres de la caste [3]. Le praticien plein temps hospitalier voyait sa nature même de "médecin" disparaître (1984) devenant prestataire de services interchangeable. Le concours fut donné à tous au prix de l'allégeance, à condition d'accepter les règles du nouveau monde médical dominé par l'argent aux travers des essais thérapeutiques et des recommandations pré-pensées fabriquées par la Haute Autorité de Santé. La fonction de médecin se délita. Le numerus clausus, dont je doute qu'il fût l'erreur qu'on nous raconte, avait fait chuter le nombre de médecins formés à la vieille école. On remplaça les manques par des médecins venus d'ailleurs de formation inégale, ayant l'avantage d'être taillables, corvéables, formatables à merci et souvent sous-payés. Deuxième bataillon de pions inconscients des enjeux de la guerre souterraine, ils permirent involontairement de museler les internes classiques et les chefs de clinique dont l'aura déclina. Le prestigieux concours de l'Internat créé par Napoléon 1 er disparut !

Je n'étais pas particulièrement attachée aux mandarins et à leur pouvoir mais l'hôpital était alors administré POUR les patients. L'OPA sur l'hôpital prit forme avec l'union des gestionnaires, sortis des écoles de commerce ou de gestion, et la génération des médecins chercheurs alliés à l'industrie pharmaceutique. Les patients n'étaient plus leur préoccupation première, sauf pour leur faire accepter toutes les recherches financièrement attractives.

Ainsi l'hôpital se stérilise puis se meure comme l'Université et la Recherche.
Personnels ou patients, nous sommes tous victimes du démon argent et des méthodes managériales des grandes entreprises du CAC 40 appliquées à l'hôpital. On "gère" les malades, les médecins, les paramédicaux, les étudiants, les chercheurs comme des lessives ou des voitures. Les récalcitrants doivent être éliminés ![4]

Les moyens de la prise en main entrepreneuriale : la démarche qualité.
A la population, il faut faire croire qu'il se passe des choses terribles à l'hôpital, que la sécurité n'est pas assurée. La grande peur comme au temps de la peste et du choléra sera utilisée pour les convaincre de la nécessité de détruire ce système de santé, hérité de l'après-guerre et que la terre entière nous envie. La plupart n'y verront que du feu, les plus clairvoyants ne condamneront souvent que des éléments parcellaires du grand chambardement.

La crise du sang contaminé ne fut pas une erreur involontaire mais un choix économique et politique délibéré. On utilisa les flacons de sang douteux pour ne pas les perdre, vu leur coût. Le drame de l'hormone de croissance ne fut pas un "accident" mais un choix économique. Les patrons tenaient le système de recueil des hypophyses de cadavre (dont serait extraite l'hormone de croissance). Ils donnèrent la pièce aux garçons de salle mortuaire pour les prélever à la petite semaine sur les cadavres des patients décédés, abandonnés par leurs familles. Jackpot assuré puisqu'ensuite ils se réservèrent le monopole de la distribution de l'hormone de croissance humaine à toute la France. Choix médical et pharmaceutique, pas une erreur ! La crise de la vache folle ne fut pas un accident "imprévisible" non plus : la commission de Bruxelles avait bel et bien autorisé les fabricants de nourriture à moins de chauffer les farines animales destinées aux bovins pour qu'ils puissent faire des économies. Les bovins furent infestés par le prion qu'ils passèrent à quelques humains. Combien ? Nul ne peut encore le dire aujourd'hui.

Mais ces drames largement évitables survenus seulement à cause du choix du profit, servirent largement nos gouvernants aux services des lobbies financiers. On brandit "le satané" principe de précaution. En découla la "démarche de qualité", maladie contagieuse vite étendue à toutes professions de la santé après avoir ravagé les entreprises commerciales. La manipulation force l'admiration pour le prestidigitateur. Personne ne put imaginer l'arme fatale qui venait de foncer sur nous.

Benchmarking et casse de l'hôpital
La réforme de l'hôpital s'inspire des méthodes initiées par Xerox pour la gestion des stocks. Patients ou photocopieurs, même problème, même traitement. Le benchmarking est une technique de marketing ou de gestion de la qualité qui consiste à étudier et analyser les techniques de gestion, les modes d'organisation des autres entreprises afin de s'en inspirer et d'en retirer le meilleur. Difficile à croire pour l'hôpital ? Deux exemples seulement. Le président de la fédération des centres anticancéreux expliqua devant les sénateurs en 2001 : "En ce qui concerne l'accréditation, nous avons choisi la méthode canadienne (...). Le réseau d'échange de Données médicales, économiques et sociales établi entre les 20 centres permet de réaliser des comparaisons, selon la méthode du benchmarking."[5]. Pris pour novateur et visionnaire, il sera suivi. L'agence nationale d'appui à la performance de santé [6] se flatte sur son site (ANAP) de publier une brochure : "Benchmark des blocs opératoires dans dix régions pilotes - Synthèse nationale - 2008, indicateurs d'efficience du bloc opératoire". La MeaH [7] et les chargés de mission efficience de 10 ARH[8] ont conduit une démarche de "benchmark" portant sur 850 blocs opératoires de toutes tailles répartis sur 352 établissements de tous statuts. Voilà où passent nos impôts, où l'énergie des personnels se perd à remplir des cases et à répondre à des auditeurs. C'est la fonction des ARS et les agences auxquelles elle délègue. L'hôpital manque d'argent mais le PIB consacré à la santé est toujours aussi élevé, à 11%. La question qui contient la solution est à quoi et à qui sert l'argent ?

L'usine à guérir devint l'usine à soins chiffrables, l'usine à audits.
Les personnels, du médecin à la femme de ménage en passant par infirmières, internes ou aides-soignants furent tous regardés comme des délinquants potentiels, voir probables dont il fallait rechercher la faute quitte à demander aux collègues ou autres catégories de les dénoncer. Morts de peur (il y a quand même 10% de chômeurs), ceci devint assez facile. Vichy n'est jamais bien loin en France pour la délation.

Les démarches dites de qualité se succédèrent associées à la multiplication des instances consultatives obligatoires tant dans le public que dans le privé, les comités de la douleur, de la nutrition, de la surveillance transfusionnelle, des soins palliatifs, de la fin de vie, des infections nosocomiales, j'en passe. Médecin hospitalier, il est facile de passer son temps en réunion sans jamais voir un malade, un quoi ? Ah oui celui-là dont on décidera le traitement en réunion multidisciplinaire sans sa présence ni même celle de son médecin traitant et sans le connaître pour la majorité des présents.

D'ailleurs les généralistes sont considérés par toute cette faune embringuée dans la folie évaluation [9] comme une espèce ringarde dépassée et en voie d'extinction mais soumise aux contrôles sécurité sociale répétitifs. Alors exit les généralistes dans ce système marchand et comptable, surtout s'ils se permettent encore de "penser". Une forme quelconque d'officiers de santé fera bien l'affaire.

La démarche qualité, sa perversité, ses conséquences dévastatrices
La suprême « qualité » de cette démarche est de faire croire à chacun à son niveau qu'elle est positive et destinée à mieux soigner, à être plus efficace et à faire intérioriser cette procédure par la victime qui devient lui-même évaluateur après avoir été évalué. Il devient membre de la caste des connaisseurs, prosélyte et ne saurait plus imaginer un monde sans évaluation. Peu importe les critères choisis par d'autres selon des objectifs plus ou moins avouables. ll osera au maximum discuter ces critères, mais pas le fondement de la démarche elle-même. Là se trouve la perversité du processus utilisé pour casser les anciens systèmes de contrôle et vérification. Faire intérioriser le chiffre comme seule valeur signifiante. Toutes les évaluations reposent sur du quantitatif. Ce qui ne se compte pas ne vaut rien dans ce système de référence. Une fois qu'on a adhéré à ce monde, on a intériorisé les ressorts profonds du système marchand qu'on a fait sien. Peu importe l'évaluation en elle-même, l'important est le nouveau paradigme qu'elle fait devenir vôtre, intériorisant une nouvelle conception du monde, intégrant les lois de l'économie de marché comme naturelles.

On a inventé l'électricité, l'avion, la machine à laver ou le frigidaire avant que les méthodes importées des USA dans les années 70 ne recouvrent la planète de leurs questionnaires à cases. Combien d'entre vous osent refuser un questionnaire de ce type à leur Directeur de ressources humaines. Aucun. On n'est pas suicidaire. Combien osent s'avouer à eux-mêmes le grotesque de la méthode. Encore très peu.

La fiabilité de la démarche qualité : les audits, les questionnaires au bloc ou dans les unités de soins, chacun sait qu'ils sont remplis "comme on attend qu'ils le soient" ; la réalité est autre. Trop de procédures tuent la procédure. Trop de fiches X, Y ou Z à remplir en temps réel, ou au lit du malade quand on fait le geste. Pas réalisable ; chacun fait le mieux possible, y perd beaucoup de temps qui aurait pu être passé auprès des patients, parler un peu, partager un silence, une partie de cartes... une relation humaine, le bonheur de nos métiers et celui des patients. 40% des procédures seraient mal remplies (mais le malade est bien soigné ! aucun rapport). Peu importe, l'enjeu est ailleurs.

Le soignant est angoissé par ces distorsions quotidiennes obligatoires qui seront relevées comme fautes si "on le sait". Alors on se cache, l'individualisme prend le pas sur l'esprit d'équipe. On veut sauver sa peau quitte à trahir les copains. Chacun se couvre et vit l'enfer intérieur. Malaise au travail, souffrances construites de toutes pièces par cette méthode perverse choisie consciemment afin de faire perdre à chacun d'entre nous ses repères et mécanismes de défense. La méthode est connue pour harceler ceux dont on veut se débarrasser, décrite dans les manuels ad hoc. Pour une unité médicale on invente autant d'audits qu'on veut selon la dose de harcèlement à infliger à ses membres s'ils manifestent la moindre contestation même passive. Fait avéré, le taux de suicide des médecins est très largement au-dessus de la moyenne nationale : 14% pour les praticiens contre 4% en général. Profession devenue la plus riche en dépressifs en tous genres. Quant aux infirmiers, ils abandonnent trop souvent le métier après quelques années.

La folie Evaluation
« Particulièrement chronophage, les moyens qu'elle met en oeuvre s'avèrent particulièrement disproportionnés en regard des résultats...) elle opère comme une gigantesque machine à détourner tout un chacun de sa fonction, à dissuader tout un chacun d'exercer son métier, de faire ce pourquoi il est fait .En les poussant à n'avoir d'actions que susceptibles d'être évaluées à l'aune prévue, en exigeant d'eux qu'ils fassent du chiffre, et ne fassent que cela, elle détourne les chercheurs de leurs recherches, les soignants de leurs soins ,les enseignants de leur mission de formation et de transmission, les juges de leur jugement, les artistes de leur mission (...) L'évaluation constitue un remarquable outil d'asservissement social et une remarquable mesure d'appauvrissement intellectuel".(...) abusive, débilitante, socialement ravageant", logique obsessionnelle, mortifère" [10].

Toutes les instances acceptent les fourches caudines de la démarche dite de qualité, des syndicats des personnels à ceux des chirurgiens privés et publics. Ils se plaignent des conséquences tout en affirmant « nous avons été de bons élèves et cela ne marche pas ». Quelle surprise ! La logique gestionnaire triomphe jusqu'au plus profond de leurs âmes. Même le Front de gauche n'osait remettre en cause le principe de l'évaluation des chercheurs pendant la campagne électorale, seulement ses moyens. Preuve d'une belle intériorisation du phénomène. Ne pas accepter l'évaluation serait un aveu de faiblesse, de médiocrité. C'est faux Beethoven ou Mozart ne s'évaluaient pas selon les règles de la démarche Qualité » ! Ils déchiraient cent fois, griffonnaient leurs partitions jusqu' à obtenir quelque chose qui leur convenait. Combien de boules de papier jonchaient le sol lorsque modestement nous préparions une dissertation en terminale ? L'évaluation au sens vrai du terme coexiste avec l'acte qui la sous-tend. La démarche qualité n'en a que le nom.

La discontinuité dans le travail quotidien interrompu par la sempiternelle traçabilité, les procédures qui ne laissent plus à l'aide soignante la responsabilité de savoir comment laver un patient, le travail quotidien pré-pensé et impossible à contourner sauf faute, du ménage à la prescription médicale de chimiothérapie choisie en haut lieu au niveau national et à appliquer par tous. Les réunions pluridisciplinaires rassurent les patients naïfs. Ils pensent que l'on discute de leur dossier en toute liberté. Aurions-nous pu choisir pour lui la meilleure solution ? Pas toujours car ce choix intègre la recommandation nationale pour cette tumeur X, le logiciel donnera le traitement. En réunion, aucun d'entre nous n'osera échapper à ce pré réfléchi, on appliquera comme un seul homme. Peur du regard des autres, des ennuis, de l'établissement qui ne sera pas accrédité c'est-à-dire qui n'aura plus le droit d'accueillir ce type de patients si on désobéit.

Dans ces conditions, notre travail à quelque niveau que ce soit a perdu son sens, son humanité. Nos équipes ont perdu leurs liens, comme le note Michel Chauvière : [11] "comme le savent bien les acteurs de terrain, ce qui fait sens, ce sont les contradictions, les négativités, les incertitudes, les passions, mais aussi la culture historique, la curiosité et l'inventivité, modes généralement arasés par les normes de gestion". L'hôpital est cassé par l'évaluation qui a perverti nos liens, nos fonctions, nos métiers. Elle tire sa force du profit politique qu'elle génère et a fait place à une nouvelle société réductrice qui fétichise le chiffre et désagrège le tissu social. Place aux marchés.

La solution : la suppression de la machine bureaucratique représentée par les multiples agences de contrôle sanitaire et le redéploiement des crédits, et du personnel dans les hôpitaux et services publics. Comme l'association "Sauvons le recherche" exige la suppression de l'AERES[12] et de l'ANR pour sauver leur domaine.

Rien n'est perdu, même si reconstruire prend toujours plus de temps que casser. La machine s'est emballée et nuit à ceux mêmes qui l'ont mise en place. Le benchmarking ne permet pas d'augmenter les bénéfices des entreprises et la folle évaluation est devenue un but en soi. Elle a déjà stérilisé trop d'entreprises et de services publics, abouti à trop de catastrophes (Telecom etc.). Il faut sortir du partenariat public privé systématique, "mariage de l'avidité et du corporatisme".

Les consciences doivent se réveiller,[13] la pensée redevenir autorisée[14] et les services publics se débarrasser rapidement d'un mode de gestion délétère et inadapté. Les Trente glorieuses avaient su faire coexister économie marchande et services publics. Il faut exiger la suppression des agences multiples nées dans les 10 dernières années dont les seules fonctions sont d'auditer, de bloquer le système et de servir de pompes à finances (20% du budget de l'état !).

Le gisement d'argent sera distribué dans les hôpitaux. Celui de médecins et cadres de santé pourra repeupler les postes hospitaliers vacants et redonner à ces personnes la joie de retrouver un sens à leur métier. La chaleur humaine qui règne dans les hôpitaux, quand ils ne sont pas soumis au matraquage quotidien des contrôles, reviendra vite, si tant est que nos professions, dans leur libre exercice, comptent parmi les plus belles du monde.





[1] Le Pr Guy Vallancien, chef du service d'urologie de l'Institut mutualiste Montsouris et auteur d'un rapport sur la chirurgie, a proposé d'ouvrir les blocs opératoires à de nouveaux métiers, notamment de remplacer les infirmiers de bloc opératoire (Ibode) par des techniciens plus rapidement formés, à l'occasion de la journée nationale de la chirurgie organisée par la Fédération hospitalière de France .2007.Le débat est toujours ouvert !

[2] C'est pourquoi les patients voient souvent des gens inoccupés alors que d'autres sont débordés ..

[3] que n'obtinrent jamais certains personnages d'exception, francs tireurs comme Gustave Roussy héritant d'un poste de médecin chef subalterne de l'hospice Paul Brousse qu'il transformera en premier centre anticancéreux, le célèbre Institut Gustave Roussy.

[4] Ils s'éliminent eux-mêmes à force de découragement comme le patron de urgences de saint louis depuis 20 qui démissionna récemment de sa fonction de responsable ou les trois démissions de médecins des urgences de Saint Antoine qui quittèrent l'APHP Octobre 2001,faute de moyens minimum et d'écoute.

[5] (rapport Neuwirth n°419 sur la politique de lutte contre le cancer 27 06 2001)

[6] une de 1244 agences recensées par l'inspection des finances dans son rapport 2012

[7] La Mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers, créée en 2003 par le Ministre de la santé dans le cadre du plan Hôpital 2007

[8] Agences Regionales d'Hospitalisation remplacées depuis 2010 par Les Agences Regionales de Sante ARS

[9] La FOLIE Evaluation les nouvelles fabriques de la servitude par A Abelhauser, R Gori et MJ Sauret essai mille et une nuits OCT 2011

[10] La folie évaluation page 10 prologue Alain Abelhauser ed les mille et une nuits

[11] Michel Chauvière, Trop de gestion tue le social, Essai sur une discrète chalandisation, La découverte, Paris, 2007, p.75

[12] Supprimer l'Agence d'Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur, (AERES) l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et le Crédit Impôt Recherche et redéployer les crédits vers les organismes de recherche

[13] L'appel des appels, pour une insurrection des consciences sous la direction de R Gori, B Cassin et C Laval mille et une nuit 2009

[14] La dignité de Penser Roland Gori ed les liens qui libèrent 2011




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