Publication Nicole Delépine - Atlantico - 2013
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Gavés de pilules : les compléments alimentaires sont-ils suffisamment contrôlés ?
Nicole Delépine
Gavés de pilules : les compléments alimentaires sont-ils suffisamment contrôlés ?
Une étude Nutrinet révèle que 28% des femmes et 15% des hommes auraient recours à des compléments alimentaires au moins trois fois par semaine, pour pallier par exemple des carences en omégas 3. Paradoxalement, les personnes qui en consomment le plus sont celles dont le mode de vie rend cette consommation la moins justifiée.
Atlantico : Une étude Nutrinet révèle que 28% des femmes et 15% des hommes auraient recours à des compléments alimentaires au moins trois fois par semaine. Certaines substances contenues augmenteraient le risque de cancer du poumon chez le fumeur (bêta-carotène) ou seraient contre-indiquées pour les personnes atteintes de leucémie (échinacée), pour ne citer qu'elles. Assiste-t-on à une perte, si ce n'est une absence totale de contrôle en la matière ? Dans quelle mesure peut-on parler de risque sanitaire ?
Nicole Delépine : Les contrôles comme ceux qui existent pour les médicaments n'assurent pas grand-chose en termes de sécurité. Il ne sert à rien de vouloir créer davantage de contrôles. On assiste au même déraillement que pour les médicaments : dès qu'ils ont un petit problème, les gens en France prennent soit un complément alimentaire, soit un médicament, quand ce n'est pas les deux.
Les compléments, comme les médicaments, peuvent présenter des dangers ou être inefficaces. Il peut y avoir danger en cas de mélange entre compléments et médicaments qui sont contre-indiqués, d'autant que les personnes qui prennent des compléments alimentaires prennent souvent également des médicaments.
La grande différence entre les deux est la chaîne d'autorisations : un certain nombre sont des médicaments qui n'ont pas été reconnus comme tels, mais qui présentent toujours les risques d'un médicament. Ce n'est pas du tout anodin. Les gens qui les prennent spontanément sont évidemment victimes du marketing, de la même manière que pour les médicaments. Sauf que dans ce cas la vente est totalement libre. Le marché est en forte progression, et il est étonnant de voir à quel point les laboratoires misent sur les compléments pour les années à venir. Il ne s'agit que de marketing.
La chose est gravissime. Les contrôles n'arrangeront rien, car seront décrétés ou non comme compléments alimentaires ceux pour lesquels on aura donné des bakchich ou des dividendes aux "experts" qui les recommanderont. Cela n'apportera aucune sécurité. La seule sécurité, c'est d'arrêter de manger pour n'importe quelle raison ce qui ressemble de près ou de loin à des médicaments.
Même si le champ des connaissances en la matière est limité, faut-il légiférer par précaution sur les compléments alimentaires, par exemple en autorisant la vente exclusivement sur ordonnance ? Cela suffirait-il pour en maîtriser les risques ?
Il faut arrêter de légiférer en France, cela ne sert à rien. Les lois sont votées par des personnes sous influence des lobbys, qui sont les mêmes pour les compléments alimentaires et les médicaments. Ce n'est pas en légiférant que les choses vont être améliorées.
Ce qu'il faut, c'est informer l'opinion publique du danger des compléments comme des médicaments. Prendre du magnésium ou des vitamines en plus n'est pas forcément anodin. Cela dépend de la maladie, et si on n'en a pas cela peut être mauvais. Je passe mon temps à expliquer à mes patients qui veulent toujours prendre des doses importantes de vitamines C sous prétexte qu'en cas de cancer cela est positif, que ce n'est pas si bon que ça. Il faut surtout dire qu'il ne faut pas en prendre quand on n'a pas de maladie. Il serait souhaitable qu'une personne qui a envie de prendre des compléments alimentaires en parle avec son médecin traitant, et que celui-ci explique qu'il faut en consommer seulement lorsqu'il y a une pathologie qui le justifie. Il faut faire extrêmement attention à la liste des compléments et des médicaments que l'on prend pour vérifier qu'ils ne se contre-indiquent pas. La personne qui les consomme ne doit pas considérer cela comme une chose anodine, car rien n'est anodin à partir du moment où il s'agit d'une substance que l'on prend en plus. L'organisme humain est bien fait, normalement on n'a pas besoin de prendre des choses en plus. Tout est dans la tête.
Il ne faut surtout pas légiférer car cela ne favorisera que les lobbys pharmaceutiques. Il faut seulement redonner le bon sens aux Français pour qu'ils comprennent que quand ils sont fatigués c'est parce qu'ils se sont couché trop tard, et qu'ils doivent se reposer.
De la même manière, vous perdrez dix kilos si vous mangez mieux et si vous êtes mieux dans votre tête, pas en prenant des herbes pour maigrir. C'est une tendance terrible, car plus les gens prennent conscience qu'il y a des problèmes avec les médicaments, plus ils se tournent vers les compléments alimentaires. C'est du marketing !
Toujours selon Nutrinet, les consommateurs de compléments alimentaires sont généralement au courant des recommandations nutritionnelles, mangent souvent bio et ont un mode de vie plus sain que la moyenne. Comment expliquer que ce soit ces personnes, qui a priori n'en ont pas besoin, qui achètent le plus de compléments alimentaires ? Cette étude est-elle révélatrice d'un rapport "maladif" aux médicaments et aux compléments en tout genre en France ?
Manger bio, c'est bien. Même s'il n'est pas toujours facile d'être sûr qu'il s'agit de nourriture bio. Ce sont des gens qui sont à l'écoute de tout ce qui peut être positif en termes de bien-être, et qui sont très largement victimes de la publicité mensongère. Les bien-portants qui mangent bio n'ont pas besoin d'autre chose, normalement.
Certaines personnes qui subissent une chimiothérapie peuvent trouver que tel ou tel complément alimentaire leur fait du bien. Il y a au moins effet placebo, ce qui n'est pas si mal. J'aime mieux qu'il y ait cet effet avec un complément, si tant est que le médecin soit au courant et qu'il n'y ait pas de contre-indication. Au contraire, ce sont des produits qui, pour un certain nombre, sont assez efficaces. Mais efficacité veut dire toxicité potentielle, et cette dernière peut elle-même être mélangée avec la toxicité des médicaments prescrits normalement.
J'évoque l'épisode du fluor dans mon livre, qui est extraordinaire : pour des histoires d'argent on a fait donner pendant une vingtaine d'années du fluor à tous les enfants. Ce qui a créé des complications... Il faut être extrêmement prudent, mais ne pas légiférer.