Textes de réflexion : Fratrie du Cancer

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Congrès du service Oncologie Pédiatrique de Nicole Delépine - 2005
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Fratrie du Cancer
Samantha Faucheur

Fratrie du Cancer


Samantha Faucheur, Psychologue.

Les jeunes atteints d'un cancer et leur famille sont des enfants, des adolescents, des parents soumis du fait de la maladie, des traitements et de leurs conséquences, à des stress élevés, répétés et durables.
Ils sont amenés à faire face à des situations pour lesquelles ils n'étaient pas du tout préparés.
Ces situations mettent leurs capacités psychiques à l'épreuve.

Trouver sa place dans la famille, l'école, puis dans la société peut devenir difficile pour le frère ou la soeur d'un enfant malade.
Il ne lui est pas toujours aisé de faire comme si tout est normal et de vivre comme les autres alors qu'est vécue une situation exceptionnelle.
La rupture introduite dans la continuité d'existence du malade et de ses proches, naît de toute une série de pertes réelles et symboliques.
Elle est source d'une inévitable souffrance.

Insidieusement, la famille a tendance à se refermer sur elle-même et à se replier sur sa peine.
Un isolement peut être la résultante de facteurs variés :
- Abandon ou oubli familial,
- Difficultés organisationnelles,
- Troubles dépressifs vrais et méconnus,
- L'autre est considéré comme ne pouvant pas comprendre.
- L'enfant est acculé à cet isolement.
- Il a souvent du mal à parler de ce qu'il ressent.

Il ne peut que constater les changements d'humeur de ses proches, devenus plus tristes, plus irritables. Il perçoit également leur mobilisation de tous les instants, leurs inquiétudes, leurs silences.
C'est pourquoi il peut craindre, s'il donne libre court à ses émotions douloureuses, que sa propre peine n'augmente celle de ses parents.
La vie quotidienne subit donc des modifications importantes.

Dans la mesure du possible, les parents doivent maintenir un environnement stable pour limiter les pertes supplémentaires à celles déjà vécues.
Vis à vis de son frère ou de sa soeur, il est épargné par la maladie et ses contraintes directes.
Mais il peut se sentir exclu ou mal aimé, car le jeune patient semble drainer l'attention et une grande partie du temps de ses parents.
Ce désarroi est rarement détecté par les membres de sa famille, eux-mêmes aux prises avec leurs propres souffrances et la nécessité de poursuivre certaines activités habituelles.

1/3 des frères et soeurs d'enfants atteints d'un cancer présentent des troubles du comportement :


- Enurésie et encoprésie secondaire,
- Résurgence de cauchemars ou de terreurs nocturnes,
- Préoccupations hypochondriaques,
- Régression des aptitudes scolaires,
- Tendance au repli sur soi, difficultés dans les rapports sociaux,
- Dépendance excessive à la mère ou conflits avec les parents.

Sans le formuler explicitement, il a besoin d'être assuré de la présence authentique des siens.
Face à la maladie grave d'un frère ou d'une soeur, l'enfant se sent d'autant moins désarmé qu'il sait pouvoir compter sur le soutien des membres de sa famille et de ceux qui soignent la personne qu'il aime.
Plus que tout, il redoute d'être oublié, abandonné par ses proches et de perdre leur affection.
La jalousie banale dans la fratrie peut être écrasée par le poids de la réalité.
Dans un contexte où le risque vital est au premier plan, ces sentiments d'hostilité et de jalousie ravivés ne vont pas s'exprimer ouvertement, faisant le lit à de forts sentiments de culpabilité.
Cette agressivité ne ferait pas tant souffrir si elle ne cohabitait pas avec de la tendresse.
Cet amour peut aller jusqu'au sacrifice, l'enfant désinvestissant ses loisirs, ses amis, ses activités scolaires, pour se dévouer "corps et âme" au malade, comme pour se punir d'être en bonne santé.

Parfois, les sentiments de culpabilité sont particulièrement forts chez le jeune enfant en raison des reliquats encore mal liquidés de ses sentiments de toute puissance et de sa pensée encore magique :
- Un souhait suffit à entraîner la mort,
- L'élaboration psychique ne suffit pas à les endiguer,
- L'enfant a recours à l'action, à la réparation favorisant alors l'accroissement du sentiment d'estime de soi et celui de son efficience personnelle.

L'investissement ou le maintien de certains secteurs du champs social (activités culturelles, sportives, scolaires,...) peut jouer le même rôle, tout en préservant davantage le jeune.
La culpabilité et la baisse d'estime de soi sont susceptibles de trouver "compensation" au travers des satisfactions tirées des succès et des performances personnelles.
Ces dernières lui valent une approbation objective de la société et lui permettent d'éprouver le sentiment de sa valeur et de son importance en dehors du cercle familial.

Lorsque l'enfant est jeune, la prise de conscience de la gravité de la maladie du frère ou de la soeur peut faire naître également un sentiment d 'insécurité.
Si jusqu'à présent, il imaginait ses parents, dont il dépend, capables d'empêcher l'irruption de la souffrance et de la mort dans sa vie, la réalité lui démontre maintenant qu'il n'en est rien.

L'annulation du fantasme de toute puissance parentale équivaut à une véritable castration narcissique et vient rompre l'équilibre psychique précédemment établi.
Il perd l'illusion selon laquelle ses parents pourraient le protéger en toutes circonstances.
Dans cette épreuve, le jeune comme l'enfant malade ont besoin l'un et l'autre de voir que les parents tiennent le coup et s'en sortent.

En cas de désarroi et d'épuisement, l'enfant est troublé par la révélation de leur fragilité.
Il peut parfois se sentir investi de la responsabilité de soutien moral de toute sa famille, avec le risque de mettre de côté ses propres besoins.
Autrement dit, il scotomise et refoule ses propres souffrances pour se consacrer à l'entière réparation de ses parents.

Mais en se sacrifiant et en croyant soutenir ses parents, il dévoile encore plus leur impuissance éventuelle à assurer leur place et leur fonction.
Il devient ainsi "le parent de ses parents" et la logique intergénérationnelle est inversée.
Quoiqu'il en soit, l'enfant "sain" rassure ses proches, les console, et les devance sur le plan émotionnel au prix d'une hypermaturation affective et intellectuelle.

La maladie conduit à un renversement des rôles dans certaines fratries :
Elle donne l'occasion au puîné de jouer le rôle de l'aîné, sa collaboration étant requise par ses parents pour protéger l'enfant malade et l'aider en différentes circonstances.
Promu à des responsabilités qui n'étaient pas les siennes jusqu'alors, il sait qu'il apporte réconfort à ses parents.
Mais cette situation est souvent vécue comme trop pesante. Elle est source de tension, liée notamment à la peur de la mort de l'autre.

Accompagnement d'un membre de la fratrie par le personnel soignant :


Proche de la réalité quotidienne, la maladie peut susciter chez lui des interrogations et des inquiétudes.
L'enfant a le droit d'être informé de la situation.
Il se rend compte que "quelque chose ne va pas".
La disparition d'une certaine routine de vie, les conversations surprises sont autant d'indices qui trahissent un malaise et un mal-être général.

Dans le flou de la situation et dans le doute, l'enfant fait des hypothèses explicatives.
Ces tentatives, plus ou moins largement empruntes de ses fantasmes le conduisent généralement à s'imaginer des choses plus inquiétantes que la réalité.
Un jeune enfant peut croire que c 'est parce qu'il n'a pas été sage ou qu'un jour il a souhaité sa mort, que son proche est tombé malade. Aussi, a-t-il besoin d'être rassuré, de s'entendre dire qu'il n'est pour rien dans ce qui arrive.

Il faut l'encourager à s'exprimer.
En établissant un climat de confiance et de communication ouverte, on donne à l'enfant la possibilité de poser les questions qu'il souhaite.
L'accompagner pas à pas, c'est s'ajuster à son rythme et en suivant le cheminement de ses questionnements sans les devancer, ni s'y dérober.
Même si l'adulte n'a pas les réponses à tout, il peut offrir un soutien, une réassurance et une sécurité.

Le jeune a besoin d'être reconnu comme un membre important et responsable de la famille :
Il doit pouvoir participer avec ses parents à ce temps où des questions autour du sens de la vie, de ce qu'ils représentent les uns pour les autres, se concentrent.
Fondamentalement, aucun soignant n'aime agir comme un robot.
Il peut parvenir à imposer une relation pleine par une parole vivante, la reconnaissance d'émotions, c'est à dire également une rencontre de sujet à sujet derrière son rôle.

La compétence ne perd pas en efficacité ni en autorité, si elle s'accompagne d'émotion et de désir.
Mais être aux côtés du patient, dévoué et humain dans la relation, n'implique pas forcément l'intime et le secret.
L'équipe soignante peut accompagner efficacement un malade sans chercher à tout connaître et à tout arranger. Des problèmes préexistent à la maladie.

Accompagner psychologiquement et humainement des familles n'est pas se mettre à leur place, mais "être avec", "être à côté", être capable d'une écoute.
Par cette écoute vivante et reconnaissante de l'autre, l'enfant est reconnu comme sujet, avec son vécu, ses désirs et son point de vu.
Ce geste de parole inscrit son vécu dans un lieu d'écoute, de partage et de sens, et rompt l'isolement qui exacerbe les émotions.

Références Bibliographiques :



BRUN D., Un enfant donné pour mort entre frères et soeurs, In l'enfant donné pour mort, Paris, Dunod, 1989, p 165-190

JACQUET-SMAILOVIC M., l'enfant, la maladie et la mort : la maladie et la mort d'un proche expliquées à l'enfant, Bruxelles, De BOECK Université, 2003

KAFKA F., la métamorphose, Paris, Gallimard, 1986

OPPENHEIM D., Fratries du cancer, In Adolescence, 1993, 11,2, p427-443

OPPENHEIM D., Approche des séquelles psychologiques des enfants cancéreux et de leurs familles, neuropsychiatrie de l'enfance, 1989, 37, p347-351

OPPENHEIM D., Fratries du cancer, In l'enfant et le cancer, Paris Bayard, 1996

SZCZYGIEL J., ROZEMBERG C., HANUS M., La formation de l'idée de vivant et de mort chez l'enfant, Actualités Psychiatriques, 1972, 6, p21-29

VILA G., MOUREN-SIMEONI M.C., Le retentissement des maladies chroniques de l'enfant sur la fratrie et l'entourage. In DOMMERGUES J.P., LENOIR G., Paris Doin, 1997, p35-41

WAISSMAN R., L'enfant, la famille et la maladie chronique : construction d'une autonomie, In Biomédecine et devenir de la personne, NOVAES édition, Paris, Esprit Seuil, 1991, p290-331





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