Textes de réflexion : Experts et conflits d'intérêts

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Publication Nicole Delépine - 2013
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Experts et conflits d'intérêts
Nicole Delépine

nicole delépine


Lettre ouverte à Mme le Ministre de la santé.



Drancy , le 16 mars 2013

Madame le Ministre,

Sous la présidence précédente votre groupe a dénoncé les conflits d'intérêt avec pugnacité et souligné que leur existence entraînait des choix souvent contraires à l'intérêt général. Les scandales du médiator et des pilules de dernières générations qui secouent actuellement l'opinion en sont des exemples démonstratifs.
Le même type de scandale sanitaire a frappé les USA où le président Obama a promulgué le Sunshine Act visant à instaurer une réelle transparence sur les conflits d'intérêts dans le domaine de la santé.
A la suite du rapport de la cour des comptes sur le sujet une loi destinée à assainir ces conflits a été votée en décembre 2011, sous la présidence précédente, reprenant la majorité des prescription du Sunshine Act et en particulier la publication des liens d'intérêts des experts sur Internet.
Malheureusement, sans aucune justification réelle, les décrets d'application publiés votre ministère ont vidé cette loi de toute efficacité en rendant tout contrôle public très difficile au point qu'après les protestations des associations anti corruption, le Conseil de l'Ordre des médecins a publiquement déclaré ne plus pouvoir exercer le contrôle éthique qu'il est en charge d'exercer sur les médecins experts.

Sans au minimum transparence totale et au mieux éradication des conflits d'intérêts des experts de votre ministère et des agences de santé, de nouvelles catastrophes sanitaires sont inéluctables dont vous serez responsable.

Ce qui a été fait aux USA est possible en France !

Madame la Ministre,

Pensez vous corriger les décrets incriminés et sinon quelles sont les motivations de vos décisions ? Nous vous remercions de l'attention que vous prêterez à cette lettre qui met en cause des faits lourds de conséquences sur la santé de nos concitoyens. Je vous prie de croire , Madame en toute ma considération respectueuse.

Dr Nicole Delépine




Conflits d'intérêts des experts : un inceste juteux.



Dans les administrations et agences de santé publique (nationales et internationales) , les experts foisonnent à tous les niveaux. Supposés aider à prendre les décisions les plus adaptées à l'intérêt général et à la protection de la santé publique, ces experts ont le plus souvent des liens d'intérêt avec des entreprises privées et leurs décisions privilégient leurs sponsors privés aux dépens de leur mission d'intérêt général.
Jusqu'à la dernière guerre mondiale, la médecine était dominée par des médecins ayant accumulé une longue expérience au contact des patients et promus professeurs et experts. Mais l'intrusion de la "médecine des preuves" et sa prétention d'élever la médecine au rang de science exacte ont créé de nouveaux "experts", ceux qui dénient toute valeur à l'expérience personnelle et ne reconnaissent que "la littérature médicale" choisie selon leurs critères. L'expert actuel a tout lu, assisté à tous les congrès et publié de nombreux articles scientifiques. Le patient est devenu accessoire et l'activité clinique dévalorisée est souvent confiée aux "collaborateurs". Le professeur-expert ne soigne plus guère.. Il publie, gère administrativement son service hospitalier et valorise son expertise auprès d'éditeurs, de sociétés savantes, et avant tout de l'industrie pharmaceutique. Dès les années 70, le marketing a prédominé sur la recherche au sein de cette industrie très prospère qui s'attire par tous les moyens (et ces moyens sont considérables) la collaboration des experts, non plus pour la recherche, mais pour la promotion des nouveaux médicaments.

Ce sont les avis des experts qui ont permis en autre l'explosion de la crise de la vache folle, les catastrophes sanitaires du VIOXX (près de 30000 morts) et du Médiator (600 à 2000 morts), et les folles dépenses des mesures contre la grippe H1N1 (près de deux milliards d'euros pour la France). Ces événements ont mis en évidence la gravité potentielle considérable de leurs décisions et l'absence totale de mise en cause de leurs responsabilités personnelles. Irresponsables, jamais coupables, ils cumulent les conflits d'intérêts sans modération

Rappel de leurs missions.
Les experts des agences chargées par l'Etat de missions d'intérêt public agissent, tantôt comme des enquêteurs (mission d'évaluation concernant un médicament ou un procédé technique) et tantôt comme des juges (pilotant une décision ministérielle ou d'une commission au pouvoir régalien). Mais les membres principaux des sociétés savantes des académies, des centres de recherche et des universités sont également sollicités ou se proposent spontanément comme experts extérieurs pour émettre des avis qui inspirent des décisions majeures concernant notre santé ou notre vie courante. Ils devraient être insoupçonnables comme doivent l'être les policiers ou les juges de nos pays démocratiques. Malheureusement ce n'est pas le cas.

Conflits d'intérêt et leurs conséquences.
Chez les experts médicaux ,les conflits d'intérêts ne sont pas l'exception mais la règle. Certains s'en glorifient et prétendent même que l'importance de leurs conflits d'intérêts témoigne de leur compétence inégalée !
Un défaut habituel de notre pensée cartésienne est que l'on croit possible, et parfois de bonne foi, de prendre une décision sans être influencé par un conflit d'intérêt. Or toutes les études sur le sujet démontrent le contraire.

Lorsqu'il prodigue son enseignement, le professeur a tendance à recommander les traitements du laboratoire dont il est le conseiller ou le promoteur d'essai.
Dans les médias les liens d'intérêts cachés transforment souvent les émissions d'information médicale en tribunes publicitaires. Les magazines santé font la promotion de traitements (souvent non validés) présentés comme des innovations bénéfiques. Les reportages médicaux présentés à la télévision ressemblent trop souvent à un plaidoyer pour un médicament, une technique ou un centre autoproclamé centre de référence. Contrairement aux dispositions de la loi1 les liens d'intérêts des intervenants médecins ne sont jamais mentionnés explicitement (par exemple un bandeau qui passerait en boucle pendant l'émission télévisée.
Le rédacteur en chef d'une revue médicale trouve impubliables les articles qui montrent les dangers du produit phare de la firme qui finance la revue par la publicité. Les sociétés savantes donnent la vedette (grand cours à l'américaine, rencontre des experts) aux médecins représentants les firmes qui sponsorisent leurs congrès ou leurs autres activités.
L'expert de l'HAS (Haute autorité de santé) n'oublie pas ses donateurs dont il impose les produits par ses recommandations.

1 - l'article L 4113-13 du code de la santé publique.

L'expert de l'Agence pour la sécurité des produits de santé trouvait "innovant et à fort impact" la molécule de l'entreprise qu'il conseillait lui obtenant ainsi un prix élevé.
Les membres ou les conseillers de l'Institut National du Cancer édictent des règles qui in fine imposent le monopole de traitement aux centres dont ils sont salariés et attribuent les crédits considérables du plan cancer à leurs amis sans contrôle extérieur indépendant.
Les scandales de l'autorisation de mise sur le marché et de la fixation du prix du Vioxx* et du Médiator* ont largement démontré que les liens d'intérêts prédominent dans les décisions des experts. L'exemple du médiator a mis en évidence que parmi les commissions chargées d'évaluer le produit et d'en fixer le prix la quasi-totalité des experts recevaient des subsides des laboratoires, près de la moitié d'entre eux présentaient des liens d'intérêt avec le laboratoire Servier et deux des responsables les plus importants de l'Agence, professeurs des universités, ont contracté, après avoir quitté leurs fonctions, des liens financiers avec le laboratoire Servier. Certains de ces conflits d'intérêts ont d'ailleurs valu récemment des mises en examen à leurs auteurs.

Le groupe de pression des laboratoires et leurs experts proclament à l'envi que ces conflits sont la certitude de leur extrême compétence. Pourtant ni leur grande compétence ni leur proximité avec le laboratoire ne leur a permis de s'apercevoir ou de prendre en compte que le Médiator était une amphétamine et non pas un antidiabétique alors les rédacteurs de la revue Prescrire l'avait souligné ainsi que les risques et que les médecins traitants le prescrivaient précisément pour son action coupe faim typique des amphétamines!

Pour la sécurité des malades et l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale, un médecin honnête et indépendant est plus efficace qu'un expert lié aux firmes pharmaceutiques.

Impunité des experts.
Dès 2004, lors du scandale du Vioxx, un rapport de la commission des affaires sociales concluait à la nécessité de pouvoir identifier la responsabilité personnelle des experts notamment lorsqu'une expertise a conclu à un risque nul ou faible alors même que des essais cliniques ont fourni des éléments en sens contraire. Pourtant après une enquête approfondie sur le Médiator les inspecteurs de l'IGAS, dont la qualité du travail doit être soulignée (mais ils n'ont pas les pouvoirs d'enquête d'un juge d'instruction), ont été incapables de déterminer qui a pris les décisions anormales.
Qui croirait un policier expliquant que l'argent qu'il touche de malfaiteurs est le gage de son excellence policière ou un juge prétendant que les gratifications qu'il reçoit d'une des parties lui permettent de rendre une justice impartiale? Ce policier et ce juge seraient radiés de l'institution et condamnés.

L'expert échappe au sort commun alors que ses décisions ont souvent des conséquences graves car elles affectent l'ensemble de la société. On condamne un automobiliste qui a tué un piéton mais la responsabilité des experts qui ont autorisé la mise sur le marché d'un médicament qui a tué plus de 1000 français n'est même pas recherchée. On condamne un escroc qui a détourné 10 000 euros mais le rôle et les motivations des experts chargés de la gestion de la crise H1N1 qui ont spolié la collectivité de 2 milliards d'euros ne font même pas l'objet d'une enquête préliminaire. La Fontaine l'avait déjà observé "Selon que vous serez puissants ou misérables vous serez jugés blancs ou noirs" C'était sous l'ancien régime, avant que la révolution ne proclame l'égalité des droits de tous les citoyens.

Conflits d'intérêts des experts de L'OMS.

L'Organisation Mondiale de la Santé regorge de commissions qui rendent des avis aux conséquences mondiales lorsqu'elles déclarent l'état de pandémie, qu'elles concluent à l'intérêt du dépistage du cancer du sein par mammographie (combien de mastectomies inutiles !) ou à celui du vaccin contre le papillovirus (inutile et le plus cher de l'histoire des vaccinations). Malgré les campagnes menées par des associations anti corruption l'OMS refuse toujours d'initier une politique de prévention des conflits d'intérêts et de communiquer les liens d'intérêts connus de ses membres.

Conflits d'intérêts des experts européens.

Un rapport récent de la Cour des comptes européenne a mis en évidence de graves conflits d'intérêts au sein de quatre agences européennes de régulation cruciales dans la protection de la santé. Ainsi des experts de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) entretiennent des liens étroits avec l'International Life Science Institute , le lobby des géants de l'agroalimentaire et leur présidente Diana Banati, contrainte de démissionner en mai 2012 après la divulgation de ses liens avec le lobby l'a rejoint en tant que directrice exécutive pour l'Europe! Le rapport pointe également le cas de six autres experts siégeant aux instances de l'EFSA et ayant des liens avec l'ILSI, la Cour s'étonnant que ceux-ci restent en place.

Le rapport conclue qu'"aucune agence ne gère les situations de conflit d'intérêts de manière appropriée" et qu'"un certain nombre de lacunes, de gravité variable, ont été relevées dans les politiques et les procédures spécifiques des agences, ainsi que dans leur mise en oeuvre". Ils observent de plus que "les dernières déclarations d'intérêts de certains experts montraient des incohérences claires avec les précédentes" et s'étonnent que ces "agences n'aient pas cherché de clarifications".

L'agence européenne du médicament (dont les décisions s'imposent à notre agence du médicament) ne recherche pas non plus l'indépendance des experts ni la transparence. A une demande de renseignements de la revue Prescrire ,elle a d'abord refusé de répondre pour, après une nouvelle demande, ne fournir que deux pages d'un rapport qui en contenait 68 !

Nina Holland, travaillant pour Corporate Europe Observatory,: estime "qu'il n'y a aucun système efficace en place dans ces agences européennes pour éradiquer les conflits d'intérêts ou pour empêcher les fonctionnaires de profiter "du pantouflage" (passage public/privé) entre les agences et l'industrie. Ces conflits d'intérêts mettent en péril la santé publique et la sécurité alimentaire."

Le Parlement européen a décidé en mai 2012 le blocage du budget de trois agences (l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'Agence européenne du médicament et l'Agence européenne de l'environnement) en les sommant de faire le ménage contre ces conflits d'intérêts qui nuisent à la crédibilité des institutions.

Conflits d'intérêts à la Haute Autorité de Santé

La HAS est chargée d'édicter des recommandations qui s'imposent à tous les médecins. En ignorant les conflits d'intérêts et leur gestion, la HAS bafoue ses principes fondateurs d'indépendance et de rigueur scientifique ! Ainsi l'analyse par le Formindep2 du rapport 2010 de la HAS sur les statines a été révélatrice : l'examen des déclarations publiques d'intérêts des experts impliqués a mis en évidence une profonde prépondérance en faveur des statines promues. Le piètre niveau des recommandations qui résultaient de ce travail semblent davantage avoir été dicté par le marketing des firmes que par l'évidence scientifique. De même les recommandations sur le diabète et la maladie d'Alzheimer ont fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat qui s'est soldé3 par l'annulation d'une des recommandations et le retrait de la seconde. Pourtant le président de la HAS continue à minimiser l'influence des conflits d'intérêts sur les recommandations.

2 - pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes.

3 - Arrêt du le 27 avril 2011.


Les experts en vogue sont souvent des médecins promoteurs d'essais thérapeutiques pour lesquels ils ont été payés parfois très grassement (des sommes de 100.000 à 500.000 $ sont courantes) par le laboratoire demandeur. Comment pourraient ils oublier leur sponsor lors qu'ils édictent une recommandation ?

L'Agence du médicament.

Les experts de l'agence du médicament qui a repris les missions de l'AFSSAPS après son naufrage dans la tempête post médiator n'ont pas tous perdu leurs mauvaises habitudes. Ainsi le professeur Dominique Maraninchi a refusé une recommandation portant sur les infections respiratoires car les experts impliqués souffraient de conflits d'intérêts "le recours [aux expertises externes] doit intervenir dans un cadre de transparence et d'indépendance totales, garant des décisions prises par l'Afssaps. Aucun doute ne doit être permis et aucun contentieux ne doit pouvoir survenir remettant en question des recommandations de sécurité sanitaire portées par l'Agence." Saluons cette courageuse décision.

Prévention et gestion des conflits d'intérêts

Jadis les représentants de l'Etat ne devaient pas percevoir une quelconque rémunération complémentaire à leur activité publique ou devaient passer devant une commission d'éthique pour en demander l'autorisation. Après l'arrêt de leur activité publique, ils ne devaient pas travailler dans des sociétés qu'ils avaient auparavant contrôlées. Ces dispositions dictées par l'expérience avaient pour but de garantir la neutralité de l état et l'indépendance des décisions de ses représentants pour le bien commun. En droit de la fonction publique, le principe demeure4 : L'interdiction de cumul d'activités et une obligation pour les agents publics de consacrer l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. En outre, il est énoncé que les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public ne peuvent exercer une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit.

4 - l'article 25 de la loi n° 83-634

Prévention des conflits d'intérêts aux Etats-Unis : le Sunshine Act

Adoptée aux États-Unis en 2010 et connue sous le nom de Physician Sunshine Act, la loi américaine impose aux fabricants ayant des liens avec les médecins et les hôpitaux universitaires de déclarer les nom, adresse, numéro d'identification de l'hôpital ou du praticien. Ils doivent préciser le montant du paiement, sa date et la nature précise du "service" fourni par le médecin, ainsi que sa spécialité. De plus, si l'argent a été versé pour une prestation dans le cadre d'une conférence organisée lors d'une formation ou d'un congrès médical, la société doit divulguer le nom du produit que le médecin a mis en avant.

L'obligation de déclarer concerne les honoraires, les primes, les avances de frais ou de royalties pour l'exploitation d'un brevet, mais aussi les cadeaux, loisirs, repas, voyages, dons ou autres intéressements au capital d'une entreprise. Tout ce dont la valeur est supérieure à 10 $ (un peu plus de 7€) doit être déclaré. La loi prévoit des sanctions en cas de non-respect de ces obligations. Les sociétés qui ne s'exécuteront pas dans les temps ou qui oublieront de déclarer tel ou tel lien d'intérêts seront passibles d'une amende comprise entre 1 000 et 10 000 $ pour chaque manquement constaté, Si ces omissions ont été volontaires, l'amende sera multipliée par 10 avec un montant maximum cumulé de 1 000 000 $ (un peu plus de 700 000 €).

Le Sunshine Act s'applique au 1er janvier 2012 pour les liens à déclarer ; les déclarations doivent être faîtes au 31 mars 2013 et seront rendues publiques le 30 septembre 2013, puis tous les 30 juin des années suivantes. Le public pourra accéder à ces données à l'aide d'un site Internet prévu à cet effet. L'internaute devra pouvoir les consulter à sa guise : en demandant à les voir classés par société, par médecin ou par spécialité, par exemple. Les informations sur les liens d'un médecin avec l'industrie seront ainsi facilement identifiables.

En France, une loi prometteuse mais limitée.

La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé organise la transparence comme prévention des conflits d'intérêts dans le domaine des produits de santé. Elle réaffirme une obligation de rendre publics les liens d'intérêts détenus par les experts qui participent aux travaux de l'Agence. Le décret du 9 mai 2012 généralise à l'ensemble des acteurs publics du secteur de la santé cette obligation de déclaration publique d'intérêts, posant ainsi une exigence renforcée de transparence des liens d'intérêts de ces acteurs de santé. Sont ainsi concernés, lors de leur prise de fonctions, les dirigeants, personnels de direction et d'encadrement, membres des instances collégiales, des commissions, des groupes de travail et des conseils des autorités en charge de la sécurité sanitaire. Sont également visés par cette obligation de transparence les personnels dont les fonctions le justifient. Les conséquences de ce dispositif sont l'interdiction de participer aux travaux d'expertise sans avoir effectué préalablement une déclaration d'intérêts, l'impossibilité de traiter une question en cas de lien direct ou indirect avec le dossier concerné, sous peine de délit de prise illégale d'intérêts. En outre, aux termes d'une jurisprudence désormais bien établie, les avis pris en méconnaissance du principe d'impartialité sont entachés d'illégalité et peuvent entraîner l'annulation des décisions prises sur cette base.

Les nouvelles règles s'appliquent à l'ensemble des membres des instances d'expertise placées auprès de l'ANSM5 : commissions, comités scientifiques spécialisés temporaires, groupes de travail d'expertise permanents. Elles concernent également les experts auxquels il est fait appel ponctuellement pour donner un avis sur un point particulier ou pour élaborer un rapport, et figurant sur une liste établie par le directeur général de l'ANSM. Ainsi, le champ de la déclaration publique d'intérêts est étendu aux liens de toute nature, directs ou par personne interposée, actuellement détenus et ayant été détenus au cours des cinq dernières années. Le fait d'omettre sciemment d'établir ou d'actualiser une déclaration d'intérêts ou celui de fournir une information mensongère est désormais sanctionné financièrement.

5 - Agence de sécurité sanitaire et du médicament qui a remplacé l'AFSSAPS

Ces nouvelles règles s'appliquent également aux personnels dont les missions et la nature des fonctions le justifient, c'est-à-dire les agents participant à la préparation des décisions, recommandations et avis relatifs à des questions de santé publique ou de sécurité sanitaire et les agents exerçant des fonctions d'inspection, d'évaluation, de surveillance et de contrôle relatives aux activités, techniques ou produits entrant dans le champ de l'ANSM. La liste des emplois des agents pour lesquels la déclaration d'intérêts est rendue publique est fixée par une décision du directeur général de l'ANSM en date du 6 juillet, après consultation du comité technique d'établissement le 21 juin 2012. La mise en oeuvre de ce dispositif de publication interviendra à l'automne 2012 La violation par les agents publics des règles de cumul d'activités peut donner lieu à des sanctions disciplinaires et au reversement des sommes indûment perçues par la voie de retenue sur leur traitement.

Une condamnation pénale sur le fondement de la prise illégale d'intérêts (article 432-12 du Code Pénal) est également possible, de même qu'une sanction disciplinaire. Mais ces sanctions seront-elles vraiment appliquées ? Auront-elles un effet dissuasif ?

Mais le projet de décret d'application préparé par les firmes pharmaceutiques, contraire à l'esprit de la loi s'oppose à la transparence.

Au terme d'une réunion de 3 jours avec les lobbys du médicament, en 2013 le ministère a rédigé un projet d'application de la loi du 29 décembre 2011 qui dresse toutes sortes d'obstacles à la transparence. Ce projet de décret prévoit la mise en place de tranches et de seuils qui ne permettraient pas au public de connaître les sommes effectivement versées par les industriels aux professionnels de santé ceci au nom d'une soi-disant simplification. De même, les rémunérations versées aux professionnels de santé en contrepartie des travaux effectués pour le compte des entreprises ne seraient pas rendues publiques au nom du respect du secret des affaires qui l'emporte ici sur la protection de la santé publique. La nature même de ces travaux ne serait pas connue. Enfin, les avantages perçus par les professionnels de santé via les associations subventionnées par les industriels ne seraient ni identifiables, ni publiables. Avec ce texte, les usagers du système de santé n'auront qu'une vision confuse et tronquée des liens d'intérêts entre les professionnels de santé et les industriels du médicament.

Projet de décret sur les liens d'intérêt : la mise en garde de l'Ordre 24/10/2012. Selon le Conseil national de l'Ordre des médecins, le projet de décret sur la transparence des liens d'intérêt, actuellement en concertation, "dresse toutes sortes d'obstacles à la transparence".

D'après le Dr François Rousselot conseiller de l'Ordre des médecins (octobre 2012), le projet de décret ne se borne pas à détricoter la loi ; il empêche aussi l'Ordre des Médecins de remplir complètement ses missions. "En dépit des observations formulées par la Cour des comptes, les conventions entre médecins et industriels ne devraient pas être obligatoirement télétransmises à l'Ordre des médecins. De même, les industriels n'auraient pas non plus à transmettre à l'Ordre certaines des conventions conclues avec les médecins, en particulier les contrats d'experts et d'orateurs. Cela nous semble contraire à la volonté du législateur ! Nous demandons à la ministre de nous fournir les moyens d'accomplir notre mission de contrôle, en liaison avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et conformément aux recommandations de la Cour des comptes."

Le projet de décret oublie de rendre obligatoire la transmission, par voie électronique, des dizaines de milliers de conventions entre médecins et industriels de la santé adressées à l'Ordre des médecins. Malgré la volonté claire du législateur le projet ne met pas non plus en oeuvre l'obligation pour les industriels de transmettre toutes les conventions conclues avec les médecins et en particulier les contrats d'experts et d'orateurs. Face à la volonté affichée dans le projet de décret de vider la loi de sa portée, sous des prétextes fallacieux, le Conseil national de l'Ordre des médecins demande à la Ministre de la Santé d'assurer la transparence voulue par le législateur et simultanément de lui fournir les moyens d'accomplir sa mission de contrôle, en liaison avec la DGCCRF, suivant les recommandations de la Cour des Comptes.

Facteurs de suspicion, d'inefficacité et de corruption aux conséquences graves (catastrophes sanitaires), les liens d'intérêts doivent être bannis de structures de l'Etat qui gèrent la santé publique. Les experts échappent pour l'instant à la règle de la démocratie qui stipule qu'on ne peut être à la fois juge et parti. Ils sont souvent trop liés aux lobbys industriels, et parfois corrompus. Comment s'étonner ensuite de décisions discutables et de leur inefficacité ans la prévention des crises sanitaires ?

Comment assainir la chaine du médicament ? Nous avions rappelé les principes dans la face cachée du médicament (Nicole Delépine Editions Michalon 2011)

Les principes sont simples et connus de tous depuis longtemps. Les appliquer nécessite un réel courage politique pour affronter des groupes de pression très puissants et très bien organisés.

Un principe de base : la sécurité de la population prime sur l'intérêt de l'industrie pharmaceutique et le secret des affaires. Ce principe exige une application stricte du principe de précaution : un médicament susceptible d'être dangereux doit être retiré du marché à titre conservatoire.

Les essais destinés à une demande d'AMM ne doivent plus être la propriété exclusive des industriels mais bénéficier d'un régime de copropriété industriel- malades inclus dans l'essai et leurs associations- agences du médicaments et de la sécurité sociale.
L'authenticité d'un essai thérapeutique destiné à une demande d'AMM ne doit plus pouvoir être mis en doute. Il doit donc être déclaré d'emblée comme tel avec le détail précis de l'essai et non un simple code ,puis être certifié par un enregistrement annuel auprès des agences du médicament sur le modèle du dépôt des comptes d'une société commerciale (avec au minimum le nombre de malades inclus leur âge, sexe, et caractéristiques principales). Toute exclusion de malade d'un essai doit faire l'objet d'une déclaration précisant les motifs de l'exclusion.

Aucun expert d'une agence gouvernementale ne doit jamais avoir de lien avec l'industrie qu'il participe à contrôler. La déclaration des conflits d'intérêt est utile mais l'expérience prouve qu'elle est souvent oubliée et lorsqu'elle est réalisée qu'elle n'est pas suffisamment efficace.

Une réforme efficace nécessite non pas seulement la déclaration des liens d'intérêts mais l'éradication des conflits d'intérêts qu'aucune expertise utile ne justifie et que seuls expliquent l'intérêt financier de l'industrie pharmaceutique et l'intérêt des experts.




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