Textes déontologiques ou texte de loi : Essais de phase I en cancérologie

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Comité Consultatif National d'Ethique pour les sciences de la vie et de la santé - 2002
Essais de phase I en cancérologie

Essais de phase I en cancérologie


Comité Consultatif National d'Ethique pour les sciences de la vie et de la santé



Le CCNE a été saisi le 17 septembre 2001 par le Professeur Laurent Degos des questions éthiques soulevées par les essais de phase I chez les malades atteints de cancer. Le médecin, doit en effet apaiser la souffrance et la douleur de son patient, respecter sa dignité et prendre en compte ses intérêts, tout en assurant le développement du progrès thérapeutique ; or ces deux impératifs peuvent être en conflit.
En effet, l'objectif de ces essais, préliminaires mais nécessaires, est d'évaluer la tolérance et la toxicité d'un nouveau médicament sans rechercher directement un bénéfice thérapeutique chez le malade qui y participe.
De ce fait, l'information qui est donnée au malade sur l'incertitude de tout bénéfice, la possibilité d'effets indésirables et leurs risques éventuels prête souvent à confusion. Elle cherche plus ou moins consciemment à minimiser le problème posé, et ne permet donc pas d'obtenir un consentement réellement éclairé. Il y a ainsi pour le médecin un conflit de devoirs entre l'obligation de soin et le souci de la recherche médicale.
Ces questions font l'objet d'un débat qui intéresse l'ensemble des médecins travaillant en cancérologie, mais aussi la société toute entière, dans la mesure ou la véritable finalité de tels essais est l'intérêt collectif.



Etat actuel de la question



Eléments scientifiques
- Les essais de phase I sont définis comme étant les premiers essais réalisés chez l'homme à la suite des expérimentations animales ; ils constituent une étape indispensable pour l'utilisation de toute nouvelle molécule. Leur objectif principal n'est pas de rechercher un effet thérapeutique, mais d'apprécier la toxicité en déterminant la dose maximale tolérée. Ils recherchent ainsi d'éventuels effets indésirables en termes qualitatifs et quantitatifs, leur durée, leur réversibilité potentielle, et leur relation possible avec les données pharmacocinétiques Les données recueillies sont nécessaires pour réaliser ensuite la première étude d'efficacité de ce médicament (essais de phase II). Les essais de phase I sont réalisés selon des protocoles scientifiques très contraignants (compétence de l'équipe reconnue, locaux agréés). Ils impliquent un processus d'escalade des doses qui sont administrées à de petits groupes distincts. Ils sont en général effectués chez des volontaires sains. En France, ils sont soumis à une législation spécifique (loi Huriet-Sérusclat n° 88-1138 du 20 décembre 1988) et sont qualifiés comme étant " sans bénéfice individuel direct ".
En effet, en cancérologie, les molécules anti-cancéreuses étant en général très cytotoxiques, les essais de phase I ne peuvent pas être réalisés sur des volontaires sains. Ils sont effectués chez des patients atteints de cancer qui sont en impasse thérapeutique, et de fait parfois en fin de vie. L'Agence européenne du médicament (EMEA) dans son document 2001 recommande que les essais de phase I ne soient pas réalisés chez les patients qui ont une chance raisonnable d'avoir une survie prolongée sans symptôme ou qui restent susceptibles de bénéficier des traitements classiques. Cependant, parmi les critères d'éligibilité, il est indiqué que la probabilité de survie doit être supérieure à 8-12 semaines. Mais ces évaluations pronostiques sont toujours beaucoup plus incertaines qu'on ne l'imagine et peuvent être démenties dans un sens ou dans un autre.

- L'effet thérapeutique escompté de la molécule en essai n'est pas un élément déterminant du choix des patients pour ces essais. La plus forte dose tolérée est celle qui, avec une marge étroite entre toxicité et efficacité, a le plus de chance d'être efficace.
Les essais de phase I comportent obligatoirement l'administration de doses croissantes (escalade de doses). La méthodologie classique, qui implique que trois patients au minimum reçoivent la molécule à chaque palier, est rarement utilisée depuis quelques années.
De nouveaux schémas d'escalade de doses ont été proposés, à partir de nouveaux modèles statistiques et de nouvelles méthodes pharmacocinétiques. Ces modifications ont pour but de déterminer plus rapidement la dose toxique, d'éviter un risque excessif de toxicité et de limiter le nombre de malades à qui on administre une dose très basse et donc a priori totalement dénuée de toute efficacité. Toutefois l'expérience actuelle montre que, malgré les progrès accomplis il est difficile d'atteindre simultanément ces trois objectifs. En outre, la difficile extrapolation de l'animal à l'homme des données toxicologiques et pharmacocinétiques, la variabilité d'un malade à l'autre des effets toxiques d'une même dose dépendant de ses altérations physiologiques, représentent des obstacles importants pour définir la meilleure méthodologie.

- Même si le but de ces essais de phase I n'est pas de rechercher un effet thérapeutique, l'étude de la littérature dans le domaine de la cancérologie montre qu'un bénéfice thérapeutique peut survenir. Les spécialistes sont partagés sur sa fréquence et son importance. Quelques investigateurs considèrent qu'un bénéfice pourrait parfois être obtenu chez près de 15% des malades aux doses les plus élevées. Mais la plupart notent qu'un bénéfice peut intervenir pour seulement moins de 5% des malades et un bénéfice réel pour seulement moins de 1%. La mort peut survenir chez près de 1% d'entre eux.

- Les impératifs de la recherche en oncologie pédiatrique imposent de mener des essais de phase I chez des enfants atteints de cancers spécifiques, ou pour adapter la dose maximale tolérée déjà déterminée chez l'adulte.

- Depuis quelques années, des molécules non cytotoxiques, cherchant à modifier la biologie de la tumeur ou à moduler la réponse de l'hôte, sont de plus en plus fréquemment testées. Ici la dose maximale tolérée a moins de sens que la dose biologiquement efficace. Bien que la dose efficace et la dose toxique soient le plus souvent très éloignées, ces essais continuent à être considérés, peut-être abusivement, par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) comme des essais de phase I classiques.

- Un cas particulier mérite d'être souligné. Pour obtenir une autorisation européenne de mise sur le marché, un essai de phase I doit être mené, en raison d'une législation peut-être contestable, même lorsque la dose toxique de la molécule a déjà été établie et son efficacité reconnue aux Etats-Unis. L'argument de première administration à l'homme justifiant le principe même d'un essai de phase I n'est en effet ici plus recevable ; on peut considérer alors que le malade (chez qui pourront être évités des effets indésirables graves) est plus soumis à des règles administratives que scientifiques.

- Les essais consistant à évaluer principalement la tolérance d'une nouvelle association de deux ou plusieurs médicaments cytotoxiques reconnus actifs dans l'indication et commercialisés, sont considérés par l'AFSSAPS comme des essais " avec bénéfice individuel direct " à condition bien sûr d'étudier simultanément l'efficacité de leur association, c'est pourquoi ils sont dits de phase I/II. En revanche, les études de tolérance associant une nouvelle molécule et un médicament cytotoxique déjà commercialisé sont considérés comme des essais de phase I.

- On constate que des essais de phase I et, en particulier ces derniers essais d'association, sont parfois abusivement présentés au patient comme des essais " compassionnels " ou déclarés comme des essais de phase I/II. Cela permet, grâce à une confusion sémantique, aux investigateurs d'éviter les contraintes liées aux recherches " sans bénéfice individuel direct ".

Consentement
- Comme pour toute recherche biomédicale impliquant la participation de personnes, le recueil de leur consentement est obligatoire. Celui-ci est fondé sur une note d'information rédigée par le promoteur (académique ou industriel) et une information orale donnée par le médecin investigateur pour la compléter et l'expliciter. Selon les termes de la loi Huriet-Sérusclat de 1988, les malades doivent obligatoirement être informés de l'objectif de la recherche, de sa durée, des bénéfices attendus, des contraintes et des risques prévisibles.

- Dans les essais de phase I en cancérologie, l'Agence européenne du médicament (EMEA) se limite à exiger que " l'information donnée précise qu'il s'agit d'une recherche et que le patient soit averti du fait qu'aucun bénéfice clinique prévu ". L'exigence formelle du consentement ne doit en rien limiter le dialogue entre l'investigateur et le patient et ne dispense en rien de l'interrogation sur le sens que peut prendre cette information pour ce malade dans ces circonstances.

- La qualité et la véracité de l'information donnée au malade sont extrêmement variables, ce qui peut affecter la nécessaire loyauté de la relation médecin-malade.
Il n'existe, ni en France ni dans la plupart des autres pays européens, de formulaire type de ce que devrait être la note d'information pour ce type d'essais.
Certains protocoles étrangers (Canada, Etats-Unis) donnent une information très claire et doivent amener à réfléchir sur la situation française qui pourrait être considérée aujourd'hui, comme pour le moins ambiguë.
Comité consultatif de protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales (CCPPRB)

- En France, c'est à un CCPPRB que reviennent trois tâches : vérifier que la recherche présente une rigueur suffisante ; garantir les droits des personnes qui s'y prêtent et apprécier la validité de la note d'information et du formulaire de consentement. Avant la mise en oeuvre du protocole, le promoteur transmet à l'AFFSAPS une lettre d'intention décrivant les données essentielles de la recherche, accompagnée de l'avis du CCPPRB consulté.

- Les différents CCPPRB paraissent avoir une approche et une attitude qui varient dans l'évaluation de la note d'information, ce qui révèle l'embarras suscité par cette question. Certains CCPPRB soulignent l'ambiguïté des essais baptisés phase I/II par les investigateurs, afin d'éviter de donner une information dont la clarté pourrait justifier un refus. Une meilleure harmonisation des avis rendus par les CCPPRB dans ce domaine serait souhaitable. Ceci pourrait aisément être réalisé par la création d'une base de données, selon la recommandation contenue dans le rapport du Sénateur Huriet. (Rapport d'information sur le fonctionnement des CCPPRB. Commission des Affaires sociales du Sénat. Avril 2001)



Problèmes soulevés



Le rapport bénéfice/risque :
Les données de la littérature montrent qu'au cours des essais de phase I en cancérologie, qui demeurent indispensables, le rapport bénéfice/risque penche très nettement du côté du risque. Ces essais sont donc en contradiction avec la déclaration d'Helsinki à laquelle pourtant le rédacteur du protocole doit indiquer qu'il s'est conformé. Dans sa version d'octobre 2000, cette déclaration indique en effet que " dans la recherche médicale sur les sujets humains, les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais prévaloir sur l'intérêt du sujet ".
Dans le cadre précis des essais de phase I en cancérologie, le terme " intérêt du sujet " est abstrait et n'attire pas suffisamment l'attention sur les atteintes possibles à la qualité de la vie des patients. Cette déclaration précise enfin qu'une recherche ne serait justifiée que si la population étudiée est à même de pouvoir en tirer bénéfice.

La distinction entre essais " avec " et " sans bénéfice direct " n'existe qu'en France. Elle devra être supprimée après adaptation et publication par la France, avant le 1er mai 2003, des dispositions nécessaires pour se conformer à la Directive européenne 2001.20.CE du 4 avril 2001. La suppression de la notion de " sans bénéfice individuel direct " est une simplification souhaitable mais pourrait amener à une dérive des essais de phase I en faisant courir des risques accrus aux patients. La rédaction actuelle de cette directive européenne est ambiguë et pourrait interdire tout essai de phase I en cancérologie, car elle précise au paragraphe 2a de l'article 3 qu' " un essai clinique ne peut être entrepris que si, notamment, des risques et inconvénients imprévisibles ont été pesés au regard du bénéfice attendu pour le sujet participant à l'essai et pour d'autres patients actuels et futurs ".

Le choix des malades en vue des essais :
Les essais de phase I sont généralement proposés à des malades qui sont au-delà de toute ressource thérapeutique, souvent en fin de vie. Le choix de malades particulièrement vulnérables, parfois âgés, toujours anxieux, et parfois mal informés de la gravité même de la maladie, pose un problème éthique dans la mesure où la plupart acceptent de participer à ces essais sans en avoir compris clairement le but, la portée et en gardant l'espoir d'en tirer un certain bénéfice.

En réalité, ces patients sont prêts à consentir à toute intervention qui leur donnerait, ne serait-ce qu'une parcelle d'espérance.
La situation est particulièrement douloureuse en oncopédiatrie où les parents, placés devant la possibilité d'un essai de phase I pour leur enfant, doivent donner un consentement à sa place. Ils ne peuvent que se résigner à un présent angoissant ou s'accrocher à un espoir très ténu d'amélioration, pour lequel ils sont demandeurs d'un protocole en ignorant les éventuelles souffrances que leur enfant devra parfois supporter.

Il est en effet essentiel d'observer que chez des patients en phase terminale, la tolérance clinique et biologique et les données pharmacocinétiques d'une molécule cytotoxique peuvent être différentes de ce qu'elles sont chez un patient moins atteint, voire vierge de toute chimiothérapie, posant ainsi la question même de l'évaluation scientifique du protocole proposé.

Il ne faut pas se faire d'illusion sur les difficultés de recrutement propres à la phase I en cancérologie. L'allongement de la période d'inclusion peut être en lui-même, en raison de la possible détérioration de l'état des premiers malades inclus, à l'origine de difficultés d'évaluation et de situations non éthiques chez des patients en fin de vie ; en outre les difficultés de recrutement d'un nombre suffisant de patients peuvent rendre leur participation éventuellement inutile, ce qui en soi pose un problème éthique.

Consentement éclairé et note d'information préalable :
La littérature anglo-saxonne récente sur ce problème est assez abondante. Tous les auteurs considèrent qu'il est inacceptable de donner des informations (écrites ou orales) mensongères, volontairement lacunaires, déformées ou inintelligibles.


Les documents français d'information et les formulaires de consentement, dont le CCNE a eu connaissance, sont très hétérogènes, qu'il s'agisse de protocoles d'origine industrielle ou académique. Cette inégalité reflète en partie, comme dans le cas des CCPPRB, l'extrême embarras des investigateurs. En effet, il existe un conflit d'intérêt majeur entre la nécessité de trouver des malades atteints de cancer pour explorer en phase I la tolérance de nouvelles molécules et le devoir de " prendre soin " d'un malade. On a pu évoquer un véritable dilemme moral du médecin, tantôt soignant, tantôt investigateur, cherchant à améliorer les traitements des futurs malades. D'ailleurs, l'investigateur doit-il être en même temps le médecin traitant ?

Il paraît inconcevable pour certains qu'un médecin puisse inclure un patient en phase terminale s'il n'espère pas que celui-ci en tire un certain effet bénéfique. Placés devant ce dilemme, certains cancérologues refusent de faire des essais de phase I. D'autres sont amenés à qualifier leur recherche comme un essai de phase I/II.

Une information franche du malade pressenti pour un essai de phase I, indiquant qu'il existe un risque de toxicité importante, qu'il ne doit attendre aucun bénéfice et que les soins palliatifs représentent pour lui la seule alternative, est une attitude difficile à tenir. Elle pourrait conduire à donner une information incomplète afin d'éviter un refus d'inclusion, et donc à biaiser la relation de confiance réciproque. Cette relation peut également être pervertie par une forme de pression morale venant du souhait du patient de garder de bonnes relations avec son médecin. L'information orale, plus difficile que dans n'importe quelle autre situation, doit prendre la forme d'une approche, d'un échange.

L'interrogation sur l'autonomie réelle de ce consentement doit toujours être présente. La motivation essentielle des malades n'est en général pas l'altruisme mais l'espoir d'une nouvelle approche thérapeutique qui évite la désespérance.

Consentir à être utile pour la recherche n'épuisera jamais l'espérance intime de pouvoir en tirer un bénéfice personnel. La difficulté la plus grande est de ne pas éteindre cet espoir ni de le faire naître de façon injustifiée.
La notion d'utilité collective, dont beaucoup de malades ont conscience, ne peut prendre corps que s'il y a une explication franche sur les essais de phase I et s'il existe une chance même modeste que les molécules en essai soient efficaces pour la pathologie dont souffre le malade. Ce dernier doit, dans la mesure du possible, se voir conférer un rôle non pas seulement passif mais de participation plus active à la recherche.

Le problème éthique essentiel posé par les essais de phase I est de s'assurer que la décision d'inclusion du patient résulte d'un réel partage du processus entre le médecin et le patient. La situation est dans ce domaine toujours asymétrique et il est utopique de penser que malade et médecin puissent se retrouver sur une même ligne de pensée. C'est pourquoi il est important qu'intervienne dans le dialogue la notion importante du tiers qu'est la recherche médicale.

Enfin on ne peut éluder la question de l'indemnisation, sans pouvoir la résoudre. En effet les phases I sur volontaires sains font généralement l'objet d'une indemnisation.

Son absence chez les malades atteints de cancer est liée à leur statut de malade et est donc à l'origine d'une forte ambiguïté.

Cependant toute tentative d'assimilation des deux situations poserait des problèmes éthiques probablement insurmontables.

Les problèmes posés rejoignent des préoccupations déjà anciennes du CCNE.
Dès son avis n°2 du 9 octobre 1984 (Avis sur les essais de nouveaux traitements chez l'homme. Réflexions et propositions), le CCNE notait que le médecin se trouvait "ainsi confronté, sur le plan de l'éthique, à deux impératifs : le souci de l'intérêt de son patient lui enjoint de lui administrer le traitement considéré comme le meilleur dans l'état actuel des connaissances ; le souci du bien collectif, de la santé publique, lui dicte de faire en sorte que le traitement de son patient puisse contribuer au progrès de la thérapeutique".


Un rapport de la Commission Européenne sur les principes bioéthiques de base indique que "les vulnérables sont ceux pour qui les principes d'autonomie, de dignité ou d'intégrité, sont à même d'être menacés". Si l'on considère la fragilité potentielle de patients en fin de vie à qui l'on va proposer une étude de phase 1, tout devrait être fait selon ce texte pour maintenir à la fois "une non-interférence avec les principes de dignité, d'intégrité, d'autonomie d'autrui mais aussi le devoir d'assistance envers ceux qui sont incapables de réaliser leur potentiel humain".



Conclusions



Le CCNE ne remet pas en cause la notion même d'essai de phase I en général, indispensable pour apprécier la tolérance de toute nouvelle molécule dont on espère qu'elle pourra devenir un médicament. Cependant son application en cancérologie, chez des malades en impasse thérapeutique et particulièrement vulnérables, pose des problèmes majeurs d'information et de consentement.

Le médecin doit éviter l'ambiguïté et dire clairement que le but de ces essais de phase I n'est pas d'apporter un bénéfice au malade, mais un bénéfice collectif, même si la première éventualité ne peut être exclue. L'objectif n'est ni de mentir ni d'anéantir tout espoir. Toutefois une telle transparence rigoureuse doit prendre en compte la capacité de discernement du malade. Dans son avis n°58, le CCNE a souligné que " le devoir d'informer n'implique pas le droit de le faire sans ménagement ni de manière abrupte ".

La confiance doit reposer sur le sentiment que le malade n'est jamais devenu un simple moyen pour un médecin qui serait seulement préoccupé par la recherche clinique.
Le contrat réciproque de confiance constitue l'unique manière de réduire la tension éthique légitimement suscitée par ces essais de phase I.

Le principe des essais de phase I, consistant à détacher la tolérance de l'efficacité pour l'évaluation d'une nouvelle molécule, ne peut laisser personne indifférent et surtout pas l'investigateur. Afin d'augmenter les chances d'obtenir un quelconque bénéfice thérapeutique pour le malade, certaines modifications de procédures et de réglementations, indiquées ci-dessous, devraient être envisagées. Le recueil du consentement ne doit pas cacher la difficulté de savoir préserver l'intérêt du malade sans nuire à la rigueur et à l'intérêt scientifique des essais de phase I.
Une recherche clinique ne doit jamais conduire à oublier que l'être humain auquel elle s'adresse a droit non seulement au respect de son intégrité mais aussi à celui de sa dignité et surtout à la considération due à une personne dont l'autonomie de jugement est menacée par la situation de fragilité dans laquelle elle se trouve.

Le progrès médical s'est souvent fondé sur des rapports bénéfices/risques initialement asymétriques au détriment des bénéfices. La gestion de cette contradiction ne peut se faire que si la nécessité absolue et permanente de disposer de nouvelles molécules, concept partagé par les malades, leur famille et la société, s'accompagne de la conscience de cette asymétrie. Chaque malade doit pouvoir comprendre que toute thérapeutique innovante s'est toujours fondée sur de tels essais chez d'autres malades et n'est jamais issue de la seule expérimentation animale.

En cette circonstance, le droit de la personne ne peut pas être mis en opposition avec le devoir de solidarité. La société dans son ensemble doit être consciente que l'exigence de la recherche peut conduire à privilégier parfois les intérêts de la communauté. Cependant cette conscience même n'abolit jamais l'impératif majeur de respecter totalement cette personne qui, par sa maladie même, peut en effet venir en aide à l'humanité.



Recommandations



1. Sur le plan scientifique, les pouvoirs publics devraient encourager et considérer comme prioritaire le développement des recherches permettant de modifier les modalités méthodologiques des essais de phase I en cancérologie en cherchant, en dépit des difficultés soulignées plus haut, à diminuer le risque de toxicité et à rechercher conjointement toxicité et efficacité.

2. Sur le plan réglementaire, il conviendrait pour des raisons scientifiques et éthiques de ne pas exiger la recherche systématique de la dose toxique pour les nouvelles molécules non cytotoxiques qui pourraient peut-être être initialement administrées à des volontaires sains.

3. Les procédures d'enregistrement à l'échelon européen de molécules déjà testées et utilisées à l'étranger devraient être simplifiées, et prendre en compte les phases I déjà effectuées pour ne pas les recommencer inutilement.

4. Un modèle national, voire européen de notes d'information et de formulaires de consentement, contenant les éléments obligatoirement inclus, devrait être établi et remis aux investigateurs pour les aider à promouvoir les bonnes pratiques. Dans la note écrite comme dans l'entretien avec le malade, le médecin devrait indiquer la nature des manifestations toxiques recherchées ; l'espoir modeste évoqué d'un bénéfice ne doit pas cacher son incertitude en rappelant que l'objectif majeur de l'essai est une recherche sur la tolérance d'une nouvelle substance. Le mot traitement devrait être évité. La signature du formulaire de consentement ne devrait intervenir que plusieurs jours après la remise de la note d'information, après que l'investigateur eut éventuellement répondu à des questions nouvelles ou réitérées.
En pédiatrie, les modalités de propositions et de recueil du consentement soulèvent naturellement des questions d'une extraordinaire acuité. Tout doit être mis en oeuvre pour que les parents ne se sentent jamais culpabilisés quelle que soit leur décision.
L'amélioration de l'information ne devrait pas se borner aux documents cités et aux patients concernés par les essais. Le CCNE a déjà reconnu le rôle essentiel d'intermédiaire des associations de malades qui, en l'occurrence, devraient être incitées à s'intéresser plus à ce difficile problème.
La société dans son ensemble doit être avertie de la réalité et de la nécessité des essais médicamenteux en général et plus particulièrement de ceux qui apprécient la tolérance d'une nouvelle molécule.

5. Le choix des malades est un enjeu éthique de première importance. Il serait souhaitable de s'adresser à des malades qui sont certes en impasse thérapeutique mais sans être réellement en fin de vie, afin de ne pas inclure dans ce type d'essais des personnes, particulièrement vulnérables, souvent prêtes à se soumettre à tout essai de phase I sans en avoir bien compris le but et la portée. Le choix de malades dont la tumeur a, d'après les données expérimentales, quelque chance d'être sensible à la nouvelle molécule, est souhaitable. Il serait aussi souhaitable, dans la mesure du possible que les malades qui participeraient à des essais de phase I puissent secondairement en bénéficier. Il faudrait pour cela que les essais de phase I soient menés avec la plus grande rapidité possible, pour qu'un essai de phase II recherchant l'efficacité, leur soit proposé dans les plus brefs délais.

6. L'entrée dans un essai confère une responsabilité particulière non seulement au praticien mais également à l'équipe soignante qui doit dans son ensemble être impliquée dans l'essai et s'assurer que le malade a compris l'importance des enjeux. Le rôle de la famille dans cette situation est difficile, et ne doit pas être négligé. Cette situation atteint son acmé en oncopédiatrie ; le consentement demandé à la famille dans une telle situation revêt une dimension particulièrement cruelle.

7. La qualité de vie du malade doit toujours être prise en compte, et en aucun cas ne doit être compromise pas un défaut de soins d'accompagnement qui lui sont dus. En effet la logique même de ces essais implique que cette qualité de vie risque d'être sensiblement dégradée par une série de manifestations secondaires, pénibles pour le patient, auxquelles il faudra remédier avec vigilance et efficacité. Le CCNE rappelle, qu'à l'évidence, les interférences éventuellement suscitées par une interaction médicamenteuse où la place des antalgiques est majeure à cette phase de la maladie, ne doivent jamais faire primer les exigences de la pratique des essais de phase I sur l'approche palliative adaptée à l'état du malade, qui reste toujours prioritaire.


Membres du groupe de travail :
Rapporteurs : Martine LOIZEAU, Maxime SELIGMANN
Sadek BELOUCIF
Chantal DESCHAMPS
Françoise HERITIER
Nicole QUESTIAUX
Personnalités auditionnées :
Professeur Jacques BONNETERRE
Madame Claire COMPAGNON
Docteur Corinne GUERIN
Professeur Claude HURIET
Docteur Agnès LAPLANCHE
Professeur Daniel SERENI
Personnalités consultées :
Professeur Alain GOUYETTE
Professeur Michel MARTY
Professeur Thierry PHILIP

Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé
http://www.comite-ethique.fr





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