Publication sur Atlantico - 2013
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Crises de folie meurtrière : ces antipsychotiques dangereux et insuffisamment contrôlés
Nicole Delépine
Crises de folie meurtrière : ces antipsychotiques dangereux et insuffisamment contrôlés
Si la fusillade de Newtown a relancé le débat sur les armes à feu, elle a aussi soulevé le problème des antipsychotiques. Le meurtrier, Adam Lanza, était sous Fanapt, un médicament controversé aux effets secondaires particulièrement lourds : agressivité, paranoïa, délire ou encore crises de panique.
L'épouvantable drame de l'école américaine de Sandy Hook dans laquelle 26 personnes trouvèrent la mort de la main d'un tueur fou invite une nouvelle fois à poser deux questions : celle des armes en liberté aux Etats-Unis, débat amplement réabordé par le pouvoir américain et la deuxième, celle du rôle au moins favorisant des traitements médicamenteux absorbés par nombre de ces tueurs.
En effet, le
Fanapt, drogue acceptée par la Food and Drug administration (FDA) depuis 2009 était très controversée bien avant le drame de Sandy Hook. Au-delà des effets secondaires de type cardiaque,
les effets indésirables signalés avec le médicament du jeune Adam étaient l'agitation et l'agressivité. Les accès maniaques ou de paranoïa avaient été rapportés ainsi que des désordres compulsifs, des impulsions incontrôlables et des dépressions profondes.
Initialement rejeté par la FDA, l'organisme qui autorise la commercialisation aux Etats-Unis,
le Fanapt a été repris par une autre société et finalement commercialisé car les effets indésirables ont été estimés "non fréquents".
"Ils existent et ne peuvent être oubliés" comme le souligne un article récent du New York magazine. Les effets délétères induits par ce médicament sont souvent ceux que l'on voulait contrôler chez ce patient : "un comportement de type psychotique, entrainant des troubles relationnels dans les interactions sociales dans le spectre autistique".
Atlantico : Sur le marché français, existe-t-il des antipsychotiques dangereux ? Lesquels ?
Nicole Delépine : Tous les antipsychotiques sont potentiellement dangereux comme d'ailleurs la plupart des médicaments qui ont une efficacité. Le problème comme toujours en médecine est de peser le risque versus efficacité. Si un patient a vraiment besoin d'une drogue (autre mot pour nommer un médicament qui montre d'emblée qu'aucun n'est anodin), il faudra la lui donner. Mais il importe de ne prescrire les médicaments que contraints et forcés, ce qui aux Etats-Unis comme dans notre pays n'est pas le cas. Le mythe de la pilule miracle qui va tout arranger reste fortement ancré.
Les antipsychotiques (neuroleptiques) tentent de soigner les symptômes du patient mais ils ne guérissent pas et entrainent eux-mêmes souvent directement des troubles. Les malades se plaignent de troubles de la concentration et de l'impossibilité de conduire ou de travailler normalement. Leurs proches notent des anomalies de leur comportement qui n'est plus le même. De plus les nouveaux antipsychotiques entrainent des troubles métaboliques majeurs avec prise de poids. Beaucoup de conséquences très négatives qui font qu'ils sont rejetés par de nombreux psychiatres.
En quoi les antipsychotiques constituent-ils un danger ? Pour quels types de patients sont-ils les plus dangereux ?
Des millions de Français avalent chaque jour leurs pilules qui les prédisposent à l'accident de voiture et à l'agressivité[1] et correspondent à au moins un milliard d'euros de dépenses pour l'assurance maladie. D'après Chatelin[2] 50% des médicaments altèrent les facultés au volant, 10% des accidentés de la route ont un psychotrope dans le sang. Toute molécule qui a des effets sédatifs multiplie le risque d'accidents de deux à cinq fois.
L'observatoire français de drogues et toxicomanies publie sur son site les chiffres suivants : 8,9 millions d'usagers occasionnels et 3,8 millions de réguliers sur la population française de 12-75 ans. A 14-15 ans, l'expérimentation de médicaments psychotropes se révèle déjà élevée puisque 20% des adolescents déclarent en avoir consommé au moins une fois au cours de leur vie. Les principaux types de médicaments consommés au cours de l'année sont les anxiolytiques (7%), les somnifères (7%) et les antidépresseurs (6%). Si globalement toutes les consommations augmentent avec l'âge, seuls les somnifères croissent continûment jusqu'à 75 ans, les deux autres classes thérapeutiques connaissant un recul au-delà de 55 ans.[3] Au-delà de 70 ans, une personne sur deux serait sous psychotropes alors que le danger est particulièrement élevé chez le sujet âgé (chute à répétitions qui diminue l'espérance de vie etc.).
Si certains sont sérieusement malades et nécessitent un traitement qui devrait s'associer à une interdiction de conduire et un suivi rapproché,
la plupart d'entre eux ne nécessitent pas cette prise régulière de médicaments qui altèrent leur fonctionnement cérébral. Les antipsychotiques se sont répandus comme une trainée de poudre depuis leurs découvertes dans les années 1960.
Le marketing a alors transformé les émotions normales en "maladies" et inciter les humains à se transformer en machine à avaler des drogues. On a "médicalisé" les émotions pour créer un gigantesque marché. Les deuils, les contrariétés, la timidité, la peur de parler en public ou au contraire l'agitation transformée en "hyperactivité" sont devenus des affections médicales que l'on devrait traiter.
La manipulation marchande a transformé les affections du psychisme en maladies "organiques" susceptibles de recevoir des drogues multiples. Les essais cliniques avec tirage au sort ont envahi le domaine des émotions comme celui de la cancérologie. L'exercice de la psychiatrie et de la psychologie a été décimé. L'asile chimique a envahi notre vie avec ses conséquences encore sous estimées. Pour les enfants dits "turbulents" autrefois à l'aise dans les champs et les forêts on a inventé "l'hyperactivité" dont la fréquence serait de 10% et la pilule adéquate ! Près de 8 millions d'écoliers, de collégiens et de lycéens de 3 à 20 ans prennent aux Etats-Unis des antidépresseurs ou des calmants, notamment de la Ritaline, une molécule à base d'amphétamines dont la consommation a explosé depuis dix ans outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, les psychiatres, les laboratoires n'ont cessé de promouvoir ce médicament qui aurait un effet pacifiant sur les enfants hyperactifs, dont il améliorerait la concentration. Des enseignants ont pris l'habitude d'inciter les parents à consulter un psychologue voire un psychiatre au moindre écart. Cette démarche débouche en général sur une prescription de Ritaline. Aux Etats-Unis, elle est devenue quasi obligatoire en cas de diagnostic d'"hyperactivité", car conditionne le paiement des aides accordées par l'Etat aux élèves en difficulté.
En France, 7 000 à 10 000 enfants seraient sous Ritaline. Le danger rôde et il faut être vigilant ! C'est la tentative récente de l'Inserm, pour l'instant avortée grâce au collectif [4] "pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans" de dépister puis de traiter, évidemment par le bonbon Ritaline, "tous les délinquants potentiels". Il a fallu une large pétition sur internet (196 348 signatures au 28/02/11) pour faire avorter le projet national de dépistage systématique des troubles comportementaux des jeunes enfants dès la maternelle et de leur traitement médicamenteux "pour résoudre le problème social de la délinquance". Le rapport de l'INSERM sur "le trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent" recommande un dépistage dès l'âge de trente-six mois du syndrome d'hyperactivité ! Les laboratoires poussent à la consommation et cherchent à envahir l'Europe !
La Ritaline est une drogue et conditionne les enfants qui en absorbent à se droguer leur vie durant. Le méthylphénidate (Ritaline), stimulant du système nerveux central est pharmacologiquement proche des amphétamines, a de graves effets secondaires (insomnie, dépendance, dépression...) qui incitent à prendre de nouveaux traitements tels les somnifères.
Les effets secondaires peuvent aller jusqu'à des phénomènes d'accoutumance. Ils provoquent parfois des lésions graves, notamment des accidents cardiaques, ou bien aboutissent à des automutilations, des décès, des tentatives de suicide et des passages à l'acte suicidaire.
Le méthylphénidate, molécule de la Ritaline, figure dans la liste officielle des substances prohibées du Code mondial antidopage. Certains psychiatres ont particulièrement attiré l'attention sur les dangers de ces médicaments modificateurs du comportement de l'enfant. Sans succès. Citons Pr Vican et les médecins qu'il évoque dans son livre "Nos enfants cobayes de la psychiatrie" : "Les enfants dont je vais vous parler ne sont plus hyperactifs ou ne sont plus inattentifs, ils sont morts [...]" Morts du traitement par la Ritaline que leurs parents étaient contraints, par les services sanitaires des écoles, de faire suivre à leurs enfants, sous prétexte qu'ils étaient "hyperactifs"[5].
D'autres antidépresseurs largement prescrits sont dangereux potentiellement.
Certes si les effets secondaires sont fréquents, les drames sont rares mais le jour où ils arrivent, il est trop tard. Le risque est établi. Par exemple le prozac ou fluoxétine a des effets similaires à la cocaïne sur la sérotonine de notre cerveau chez certaines personnes. Dans son dossier d'AMM à la FDA le responsable de l'évaluation des effets secondaires du prozac notait un profil similaire aux amphétamines. Le résultat d'une étude parue dans une grande revue de pédiatrie américaine montre l'augmentation du risque de suicide ou de tentative chez les patients sous antidépresseurs : ce travail a répertorié les suicides et tentatives pendant 9 ans sur une cohorte de plus de 20 000 enfants et adolescents traités pour dépression (10 -18 ans). Ils n'ont pas vu de différences significatives entre la fluoxetine[6] (Prozac), le citalopram (Seropram), la fluvoxamine (Floxyfral), la paroxetine (Deroxat) ou la sertraline (Zoloft) qui sont tous à risque de favoriser les tentatives de suicide.
Ils ont conclu à la nécessité que la FDA inclue tous les antidépresseurs dans la boite noire d'avertissement "black box warning" qui signale les boites de médicaments dangereux en vente aux Etats-Unis concernant l'augmentation d'incidence du risque suicidaire chez les enfants et adolescents en début de traitement (la première année).[7]
A la suite de l'épisode médiator l'agence du médicament avait publié une liste de 77 médicaments placés sous surveillance renforcée dans le cadre "d'un plan de gestion des risques" mais toujours autorisés. Parmi eux se trouvent des psychotropes utilisés pour le traitement de la dépression, de l'insomnie, de la schizophrénie, du trouble bipolaire, de la baisse de libido et de la dépendance au tabac ou à l'alcool. La revue Prescrire relayée par "Que choisir" en avril 2012 insistait sur certains à retirer de suite, mais toujours sur le marché.
L'encadrement français autour de ces médicaments est-il le même qu'aux Etats-Unis ? Selon vous, est-il pleinement efficace ?
L'autorisation de mise sur le marché des médicaments est donnée par l'agence du médicament nommée récemment l'Agence nationale de la sécurité des médicaments (ANSM, ex-Afssaps). Elle est censée comme la FDA surveiller l'absence de danger du médicament initialement et de surveiller le moyen et long terme, le retirer du marché en cas de problème éventuel. Le récent drame du médiator est dans toutes les mémoires comme la grande difficulté aux donneurs d'alerte sur les dangers de ce médicament, à se faire entendre. Le changement de nom de l'agence et de direction a conduit à une charte et de bonnes intentions mais on se demande comment celles-ci pourront être tenues si le problème des conflits d'intérêt n'est pas réglé tout au long de la chaine du médicament.
Le nouveau directeur général de l'ANSM soutient également l'idée d'une évaluation permanente des bénéfices et des risques des produits sur le marché. Celle-ci est, selon lui, beaucoup plus active depuis la réforme du système du médicament fin 2011 et "la directive européenne de pharmacovigilance [qui] donne, depuis juillet 2012, le pouvoir juridique à l'ANSM d'exercer cette pharmacovigilance en vie réelle". "On fait du réactif mais surtout on a une démarche proactive qui consiste à aller évaluer les bénéfices et les risques d'un médicament sans consulter les firmes", grâce à des moyens autonomes et une expertise interne indépendante, assure Dominique Maraninchi. Mais les obstacles sont nombreux face à la détermination du Pr Maraninchi.
La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé organise la transparence comme prévention des conflits d'intérêts dans le domaine des produits de santé. Cela avait fait espérer une amélioration réelle du système. Elle réaffirme une obligation de rendre publics les liens d'intérêts détenus par les experts qui participent aux travaux de l'Agence. Le décret du 9 mai 2012, généralise à l'ensemble des acteurs publics du secteur de la santé cette obligation de déclaration publique d'intérêts.
Malheureusement le ministère de la Santé actuel est en train de détricoter cette loi avant même son application. Le projet de décret sur le Sunshine Act français en miroir de celui des Etats-Unis semble contraire à la volonté de transparence affichée par le législateur dit Dr François Rousselot, conseiller national, président de la commission des relations médecins-industrie à propos du décret d'application du Sunshine Act dans son papier du 23 octobre 2012 sur la "publication des liens d'intérêt, de la lumière à l'obscurité".
Contrairement à la volonté du législateur et au texte même de la loi du 29 décembre 2011, les usagers du système de santé n'auront qu'une vision fausse, confuse et tronquée des liens d'intérêts entre professionnels de santé et industriels du médicament et du matériel médical.
En effet un projet de décret actuellement en concertation dresse toutes sortes d'obstacles à la transparence. "Face à la volonté affichée dans le projet de décret de vider la loi de sa portée, sous des prétextes fallacieux, le Conseil national de l'Ordre des médecins demande à la ministre de la Santé d'assurer la transparence voulue par le législateur et simultanément de lui fournir les moyens d'accomplir sa mission de contrôle, en liaison avec la DGCCRF, suivant les recommandations de la Cour des Comptes." Un pas en avant deux pas en arrière.
Les psychotropes ne sont donc pas anodins et ne doivent être prescrits qu'à bon escient pour de vraies maladies lourdes et jamais pour les troubles légers qui font partie de la vie et n'auraient jamais dus être médicalisés. La surveillance des effets délétères doit être assurée par l'agence du médicament en toute indépendance, ce qui impose le retour à la loi de décembre 2011 dans son intégralité. L'influence des lobbies pharmaceutiques doit être combattue, condition indispensable pour une prescription juste des médicaments. Celle-ci protégera la santé des français en même temps que celle de la Sécurité sociale.
Malheureusement, les Français et les juristes doivent réfléchir au grave risque de la judiciarisation de la médecine et singulièrement de la psychiatrie. La condamnation de notre collègue psychiatre en décembre 2012 pour avoir autorisé la sortie de son patient qui a tué une vingtaine de jours plus tard un octogénaire va conduire les psychiatres à se protéger davantage. On peut craindre que ce genre de décisions juridiques n'aggrave les surprescriptions d'antipsychotiques et donc les risques propres aux médications.
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[1] La face cachée des médicaments 2001 ed Michalon Nicole Delépine chapitre planète terre : asile pour malades mentaux
[2] "le soleil" 29 mai 2006 "les psychotropes, cause d'accidents" et "et 50% des médicaments altèrent les facultés au volant" Pr chatelin.
[3] mise à jour décembre 2009
[4] conduite pour les enfants de trois ans , appel en réponse à l'expertise INSERM sur le trouble des conduites chez l'enfant www.pasde0deconduite.org/appel/-
[5] Nos enfants, cobayes de la psychiatrie ? Enquête sur la médicalisation des problèmes de l'enfance de P Vican Éditions Anagramme, 192 pages, mars 2006
[6] En France la fluoxetine (Prozac*) est prescrit à des enfants de plus de 8 ans pour boulimie ou depression ;la fiche du labo dans les effets indésirables ne cite pas le risque de suicide contrairement au site canadien du médicament qui signale ce risque accru.
[7] Comparative safety of antidepressant agents for children and adolescents regarding suicidal acts. Schneeweiss S,et Al Boston, MA 02120, USA. Pediatrics. 2010 May;125(5):1064-5.